Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tires comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-meme,
Je vois avec etonnement
Le feu de ses prunelles pales,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
Tires comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-meme,
Je vois avec etonnement
Le feu de ses prunelles pales,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
liqueur
Qui me ronge, o la vie et la mort de mon coeur!
LE POISON
Le vin sait revetir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nebuleux.
L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimite,
Approfondit le temps, creuse la volupte,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'ame au dela de sa capacite.
Tout cela ne vaut pas le poison qui decoule
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs ou mon ame tremble et se voit a l'envers. . .
Mes songes viennent en foule
Pour se desalterer a ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon ame sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule defaillante aux rives de la mort!
LE CHAT
I
Dans ma cervelle se promene
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant,
Quand il miaule, on l'entend a peine,
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est la son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus tenebreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me rejouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde
Que ta voix, chat mysterieux,
Chat seraphique, chat etrange,
En qui tout est, comme un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux.
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaume, pour l'avoir
Caressee une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il preside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-etre est-il fee, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tires comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-meme,
Je vois avec etonnement
Le feu de ses prunelles pales,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
LE BEAU NAVIRE
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranges graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombes et clairs
Comme les boucliers accrochent des eclairs;
Boucliers provoquants, armes de pointes roses!
Armoire a doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient delirer les cerveaux et les coeurs!
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes sons les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les desirs obscurs et les agacent
Comme deux sorcieres qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.
Tes bras qui se joueraient des precoces hercules
Sont des boas luisants les solides emules,
Faits pour serrer obstinement,
Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranches graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
L'IRREPARABLE
I
Pouvons-nous etouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chene la chenille?
Pouvons-nous etouffer l'implacable Remords?
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Dans quel philtre? --dans quel vin?
Qui me ronge, o la vie et la mort de mon coeur!
LE POISON
Le vin sait revetir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nebuleux.
L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimite,
Approfondit le temps, creuse la volupte,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'ame au dela de sa capacite.
Tout cela ne vaut pas le poison qui decoule
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs ou mon ame tremble et se voit a l'envers. . .
Mes songes viennent en foule
Pour se desalterer a ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon ame sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule defaillante aux rives de la mort!
LE CHAT
I
Dans ma cervelle se promene
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant,
Quand il miaule, on l'entend a peine,
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est la son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus tenebreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me rejouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde
Que ta voix, chat mysterieux,
Chat seraphique, chat etrange,
En qui tout est, comme un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux.
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaume, pour l'avoir
Caressee une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il preside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-etre est-il fee, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tires comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-meme,
Je vois avec etonnement
Le feu de ses prunelles pales,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
LE BEAU NAVIRE
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranges graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombes et clairs
Comme les boucliers accrochent des eclairs;
Boucliers provoquants, armes de pointes roses!
Armoire a doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient delirer les cerveaux et les coeurs!
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes sons les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les desirs obscurs et les agacent
Comme deux sorcieres qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.
Tes bras qui se joueraient des precoces hercules
Sont des boas luisants les solides emules,
Faits pour serrer obstinement,
Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranches graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
L'IRREPARABLE
I
Pouvons-nous etouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chene la chenille?
Pouvons-nous etouffer l'implacable Remords?
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Dans quel philtre? --dans quel vin?
