Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie.
Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
couvercle noir de la grande marmite
Ou bout l'imperceptible et vaste Humanite.
L'IMPREVU
Harpagon, qui veillait son pere agonisant,
Se dit, reveur, devant ces levres deja blanches;
<< Nous avons au grenier un nombre suffisant,
Ce me semble, de vieilles planches? >>
Celimene roucoule et dit: << Mon coeur est bon,
Et naturellement, Dieu m'a faite tres belle. >>
--Son coeur! coeur racorni, fume comme un jambon,
Recuit a la flamme eternelle!
Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau,
Dit au pauvre, qu'il a noye dans les tenebres:
<< Ou donc l'apercois-tu, ce createur du Beau,
Ce Redresseur que tu celebres? >>
Mieux que tous, je connais certains voluptueux
Qui baille nuit et jour, et se lamente et pleure,
Repetant, l'impuissant et le fat: << Oui, je veux
Etre vertueux, dans une heure! >>
L'horloge, a son tour, dit a voix basse: << Il est mur,
Le damne! J'avertis en vain la chair infecte.
L'homme est aveugle, sourd, fragile, comme un mur
Qu'habite et que ronge un insecte! >>
Et puis, Quelqu'un parait, que tous avaient nie,
Et qui leur dit, railleur et fier: << Dans mon ciboire,
Vous avez, que je crois, assez communie,
A la joyeuse Messe noire?
Chacun de vous m'a fait un temple dans son coeur;
Vous avez, en secret, baise ma fesse immonde!
Reconnaissez Satan a son rire vainqueur,
Enorme et laid comme le monde!
Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,
Qu'on se moque du maitre, et qu'avec lui l'on triche,
Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix.
D'aller au Ciel et d'etre riche?
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie.
Je vais vous emporter a travers l'epaisseur,
Compagnons de ma triste joie,
A travers l'epaisseur de la terre et du roc,
A travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc,
Et qui n'est pas de pierre tendre;
Car il fait avec l'universel Peche,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!
--Cependant, tout en haut de l'univers juche,
Un Ange sonne la victoire
De ceux dont le coeur dit: << Que beni soit ton fouet,
Seigneur! que la douleur, o Pere, soit benie!
Mon ame dans tes mains n'est pas un vain jouet,
Et ta prudence est infinie. >>
Le son de la trompette est si delicieux,
Dans ces soirs solennels de celestes vendanges,
Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.
L'EXAMEN DE MINUIT
La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
A nous rappeler quel usage
Nous fimes du jour qui s'enfuit:
--Aujourd'hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgre tout ce que nous savons,
Mene le train d'un heretique.
Nous avons blaspheme Jesus,
Des Dieux le plus incontestable!
Comme un parasite a la table
De quelque monstrueux Cresus,
Nous avons, pour plaire a la brute,
Digne vassale des Demons,
Insulte ce que nous aimons
Et flatte ce qui nous rebute;
Contriste, servile bourreau,
Le faible qu'a tort on meprise;
Salue l'enorme Betise,
La Betise au front de taureau;
Baise la stupide Matiere
Avec grande devotion,
Et de la putrefaction
Beni la blafarde lumiere.
Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le delire,
Nous, pretre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de deployer
L'ivresse des choses funebres,
Bu sans soif et mange sans faim! . . .
--Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les tenebres!
MADRIGAL TRISTE
Que m'importe que tu sois sage?
Sois belle!
Ou bout l'imperceptible et vaste Humanite.
L'IMPREVU
Harpagon, qui veillait son pere agonisant,
Se dit, reveur, devant ces levres deja blanches;
<< Nous avons au grenier un nombre suffisant,
Ce me semble, de vieilles planches? >>
Celimene roucoule et dit: << Mon coeur est bon,
Et naturellement, Dieu m'a faite tres belle. >>
--Son coeur! coeur racorni, fume comme un jambon,
Recuit a la flamme eternelle!
Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau,
Dit au pauvre, qu'il a noye dans les tenebres:
<< Ou donc l'apercois-tu, ce createur du Beau,
Ce Redresseur que tu celebres? >>
Mieux que tous, je connais certains voluptueux
Qui baille nuit et jour, et se lamente et pleure,
Repetant, l'impuissant et le fat: << Oui, je veux
Etre vertueux, dans une heure! >>
L'horloge, a son tour, dit a voix basse: << Il est mur,
Le damne! J'avertis en vain la chair infecte.
L'homme est aveugle, sourd, fragile, comme un mur
Qu'habite et que ronge un insecte! >>
Et puis, Quelqu'un parait, que tous avaient nie,
Et qui leur dit, railleur et fier: << Dans mon ciboire,
Vous avez, que je crois, assez communie,
A la joyeuse Messe noire?
Chacun de vous m'a fait un temple dans son coeur;
Vous avez, en secret, baise ma fesse immonde!
Reconnaissez Satan a son rire vainqueur,
Enorme et laid comme le monde!
Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,
Qu'on se moque du maitre, et qu'avec lui l'on triche,
Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix.
D'aller au Ciel et d'etre riche?
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie.
Je vais vous emporter a travers l'epaisseur,
Compagnons de ma triste joie,
A travers l'epaisseur de la terre et du roc,
A travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc,
Et qui n'est pas de pierre tendre;
Car il fait avec l'universel Peche,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!
--Cependant, tout en haut de l'univers juche,
Un Ange sonne la victoire
De ceux dont le coeur dit: << Que beni soit ton fouet,
Seigneur! que la douleur, o Pere, soit benie!
Mon ame dans tes mains n'est pas un vain jouet,
Et ta prudence est infinie. >>
Le son de la trompette est si delicieux,
Dans ces soirs solennels de celestes vendanges,
Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.
L'EXAMEN DE MINUIT
La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
A nous rappeler quel usage
Nous fimes du jour qui s'enfuit:
--Aujourd'hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgre tout ce que nous savons,
Mene le train d'un heretique.
Nous avons blaspheme Jesus,
Des Dieux le plus incontestable!
Comme un parasite a la table
De quelque monstrueux Cresus,
Nous avons, pour plaire a la brute,
Digne vassale des Demons,
Insulte ce que nous aimons
Et flatte ce qui nous rebute;
Contriste, servile bourreau,
Le faible qu'a tort on meprise;
Salue l'enorme Betise,
La Betise au front de taureau;
Baise la stupide Matiere
Avec grande devotion,
Et de la putrefaction
Beni la blafarde lumiere.
Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le delire,
Nous, pretre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de deployer
L'ivresse des choses funebres,
Bu sans soif et mange sans faim! . . .
--Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les tenebres!
MADRIGAL TRISTE
Que m'importe que tu sois sage?
Sois belle!
