Je pense aux
matelots
oublies dans une ile,
Aux captifs, aux vaincus!
Aux captifs, aux vaincus!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
que le coeur d'un mortel);
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ebauches et de futs,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques
Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus.
La s'etalait jadis une menagerie;
La je vis, un matin, a l'heure ou sous les cieux
Clairs et froids le Travail s'eveille, ou la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'etait evade de sa cage,
Et, de ses pieds palmes frottant le pave sec,
Sur le sol raboteux trainait son grand plumage.
Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec,
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:
<< Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,
Je vois ce malheureux, mythe etrange et fatal, foudre?
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tete avide,
Comme s'il adressait des reproches a Dieu!
II
Paris change, mais rien dans ma melancolie
N'a bouge! palais neufs, echafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:
Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exiles, ridicule et sublime,
Et ronge d'un desir sans treve! et puis a vous,
Andromaque, des bras d'un grand epoux tombee,
Vil betail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Aupres d'un tombeau vide en extase courbee;
Veuve d'Hector, helas! et femme d'Helenus!
Je pense a la negresse, amaigrie et phtisique,
Pietinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derriere la muraille immense du brouillard;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais! jamais! a ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins sechant comme des fleurs!
Ainsi dans la foret ou mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne a plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oublies dans une ile,
Aux captifs, aux vaincus! . . . a bien d'autres encor!
LES SEPT VIEILLARDS
A VICTOR HUGO
Fourmillante cite, cite pleine de reves,
Ou le spectre en plein jour raccroche le passant!
Les mysteres partout coulent comme des seves
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une riviere accrue,
Et que, decor semblable a l'ame de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un heros
Et discutant avec mon ame deja lasse,
Le faubourg secoue par les lourds tombereaux.
Tout a coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumones,
Sans la mechancete qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eut dit sa prunelle trempee
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe a longs poils, roide comme une epee,
Se projetait, pareille a celle de Judas.
Il n'etait pas voute, mais casse, son echine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son baton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupede infirme ou d'un juif a trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empetrant,
Comme s'il ecrasait des morts sous ses savates,
Hostile a l'univers plutot qu'indifferent.
Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, baton, loques,
Nul trait ne distinguait, du meme enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du meme pas vers un but inconnu.
A quel complot infame etais-je donc en butte,
Ou quel mechant hasard ainsi m'humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
Que celui-la qui rit de mon inquietude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel
Songe bien que malgre tant de decrepitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air eternel!
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ebauches et de futs,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques
Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus.
La s'etalait jadis une menagerie;
La je vis, un matin, a l'heure ou sous les cieux
Clairs et froids le Travail s'eveille, ou la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'etait evade de sa cage,
Et, de ses pieds palmes frottant le pave sec,
Sur le sol raboteux trainait son grand plumage.
Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec,
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:
<< Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,
Je vois ce malheureux, mythe etrange et fatal, foudre?
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tete avide,
Comme s'il adressait des reproches a Dieu!
II
Paris change, mais rien dans ma melancolie
N'a bouge! palais neufs, echafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:
Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exiles, ridicule et sublime,
Et ronge d'un desir sans treve! et puis a vous,
Andromaque, des bras d'un grand epoux tombee,
Vil betail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Aupres d'un tombeau vide en extase courbee;
Veuve d'Hector, helas! et femme d'Helenus!
Je pense a la negresse, amaigrie et phtisique,
Pietinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derriere la muraille immense du brouillard;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais! jamais! a ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins sechant comme des fleurs!
Ainsi dans la foret ou mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne a plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oublies dans une ile,
Aux captifs, aux vaincus! . . . a bien d'autres encor!
LES SEPT VIEILLARDS
A VICTOR HUGO
Fourmillante cite, cite pleine de reves,
Ou le spectre en plein jour raccroche le passant!
Les mysteres partout coulent comme des seves
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une riviere accrue,
Et que, decor semblable a l'ame de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un heros
Et discutant avec mon ame deja lasse,
Le faubourg secoue par les lourds tombereaux.
Tout a coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumones,
Sans la mechancete qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eut dit sa prunelle trempee
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe a longs poils, roide comme une epee,
Se projetait, pareille a celle de Judas.
Il n'etait pas voute, mais casse, son echine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son baton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupede infirme ou d'un juif a trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empetrant,
Comme s'il ecrasait des morts sous ses savates,
Hostile a l'univers plutot qu'indifferent.
Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, baton, loques,
Nul trait ne distinguait, du meme enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du meme pas vers un but inconnu.
A quel complot infame etais-je donc en butte,
Ou quel mechant hasard ainsi m'humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
Que celui-la qui rit de mon inquietude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel
Songe bien que malgre tant de decrepitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air eternel!
