Et, des pieds jusques a la tete,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Or il n'est d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruaute de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'echeveau du temps lentement se devide!
LE VAMPIRE
Toi qui, comme un coup de couteau.
Dans mon coeur plaintif est entree;
Toi qui, forte comme un troupeau
De demons, vins, folle et paree,
De mon esprit humilie
Faire ton lit et ton domaine.
--Infame a qui je suis lie
Comme le forcat a la chaine,
Comme au jeu le joueur tetu,
Comme a la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
--Maudite, maudite sois-tu!
J'ai prie le glaive rapide
De conquerir ma liberte,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lachete.
Helas! le poison et le glaive
M'ont pris en dedain et m'ont dit:
<< Tu n'es pas digne qu'on t'enleve
A ton esclavage maudit,
Imbecile! --de son empire
Si nos efforts te delivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire! >>
Une nuit que j'etais pres d'une affreuse Juive,
Comme au long d'un cadavre un cadavre etendu,
Je me pris a songer pres de ce corps vendu
A la triste beaute dont mon desir se prive.
Je me representai sa majeste native,
Son regard de vigueur et de graces arme,
Ses cheveux qui lui font un casque parfume,
Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.
Car j'eusse avec ferveur baise ton noble corps,
Et depuis tes pieds frais jusqu'a tes noires tresses
Deroule le tresor des profondes caresses,
Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort
Tu pouvais seulement, o reine des cruelles,
Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.
REMORDS POSTHUME
Lorsque tu dormiras, ma belle tenebreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcove et manoir
Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;
Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empechera ton coeur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,
Le tombeau, confident de mon reve infini,
--Car le tombeau toujours comprendra le poete,--
Durant ces longues nuits d'ou le somme est banni,
Te dira: << Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts? >>
--Et le ver rongera ta peau comme un remords.
LE CHAT
Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux:
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Meles de metal et d'agate.
Lorsque mes doigts caressent a loisir
Ta tete et ton dos elastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton corps electrique,
Je vois ma femme en esprit; son regard,
Comme le tien, aimable bete,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard.
Et, des pieds jusques a la tete,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.
LE BALCON
Mere des souvenirs, maitresse des maitresses,
O toi, tous mes plaisirs, o toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beaute des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mere des souvenirs, maitresse des maitresses!
Les soirs illumines par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voiles de vapeurs roses;
Que ton sein m'etait doux! que ton coeur m'etait bon!
Nous avons dit souvent d'imperissables choses
Les soirs illumines par l'ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirees!
Que l'espace est profond! que le coeur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorees,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirees!
La nuit s'epaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles
Et je buvais ton souffle, o douceur, o poison!
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles,
La nuit s'epaississait ainsi qu'une cloison.
Je sais l'art d'evoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passe blotti dans tes genoux.
Car a quoi bon chercher tes beautes langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux?
Je sais l'art d'evoquer les minutes heureuses!
