MADRIGAL
TRISTE
Que m'importe que tu sois sage?
Que m'importe que tu sois sage?
Baudelaire - Fleurs Du Mal
D'aller au Ciel et d'etre riche?
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps a l'affut de la proie.
Je vais vous emporter a travers l'epaisseur,
Compagnons de ma triste joie,
A travers l'epaisseur de la terre et du roc,
A travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc,
Et qui n'est pas de pierre tendre;
Car il fait avec l'universel Peche,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!
--Cependant, tout en haut de l'univers juche,
Un Ange sonne la victoire
De ceux dont le coeur dit: << Que beni soit ton fouet,
Seigneur! que la douleur, o Pere, soit benie!
Mon ame dans tes mains n'est pas un vain jouet,
Et ta prudence est infinie. >>
Le son de la trompette est si delicieux,
Dans ces soirs solennels de celestes vendanges,
Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.
L'EXAMEN DE MINUIT
La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
A nous rappeler quel usage
Nous fimes du jour qui s'enfuit:
--Aujourd'hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgre tout ce que nous savons,
Mene le train d'un heretique.
Nous avons blaspheme Jesus,
Des Dieux le plus incontestable!
Comme un parasite a la table
De quelque monstrueux Cresus,
Nous avons, pour plaire a la brute,
Digne vassale des Demons,
Insulte ce que nous aimons
Et flatte ce qui nous rebute;
Contriste, servile bourreau,
Le faible qu'a tort on meprise;
Salue l'enorme Betise,
La Betise au front de taureau;
Baise la stupide Matiere
Avec grande devotion,
Et de la putrefaction
Beni la blafarde lumiere.
Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le delire,
Nous, pretre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de deployer
L'ivresse des choses funebres,
Bu sans soif et mange sans faim! . . .
--Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les tenebres!
MADRIGAL TRISTE
Que m'importe que tu sois sage?
Sois belle! et sois triste! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage;
L'orage rajeunit les fleurs.
Je t'aime surtout quand la joie
S'enfuit de ton front terrasse;
Quand ton coeur dans l'horreur se noie;
Quand sur ton present se deploie
Le nuage affreux du passe.
Je t'aime quand ton grand oeil verse
Une eau chaude comme le sang;
Quand, malgre ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un rale d'agonisant.
J'aspire, volupte divine!
Hymne profond, delicieux!
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton coeur s'illumine
Des perles que versent tes yeux!
Je sais que ton coeur, qui regorge
De vieux amours deracines,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l'orgueil des damnes;
Mais tant, ma chere, que tes reves
N'auront pas reflete l'Enfer,
Et qu'en un cauchemar sans treves,
Songeant de poisons et de glaives,
Eprise de poudre et de fer,
N'ouvrant a chacun qu'avec crainte,
Dechiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l'heure tinte,
Tu n'auras pas senti l'etreinte
De l'irresistible Degout,
Tu ne pourras, esclave reine
Qui ne m'aimes qu'avec effroi,
Dans l'horreur de la nuit malsaine
Me dire, l'ame de cris pleine:
<< Je suis ton egale, o mon Roi! >>
L'AVERTISSEUR
Tout homme digne de ce nom
A dans le coeur un Serpent jaune,
Installe comme sur un trone,
Qui, s'il dit: << Je veux! >> repond: << Non! >>
Plonge tes yeux dans les yeux fixes
Des Satyresses ou des Nixes,
La Dent dit: << Pense a ton devoir! >>
Fais des enfants, plante des arbres >>.
Polis des vers, sculpte des marbres,
La Dent dit: << Vivras-tu ce soir? >>
Quoi qu'il ebauche ou qu'il espere,
L'homme ne vit pas un moment
Sans subir l'avertissement
De l'insupportable Vipere.
