Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
S'avancaient plus calins que les anges du mal,
Pour troubler le repos ou mon ame etait mise,
Et pour la deranger du rocher de cristal,
Ou calme et solitaire elle s'etait assise.
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
S'avancaient plus calins que les anges du mal,
Pour troubler le repos ou mon ame etait mise,
Et pour la deranger du rocher de cristal,
Ou calme et solitaire elle s'etait assise.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim;
Venez vous enivrer de la couleur etrange
De cette apres-midi qui n'a jamais de fin? >>
A l'accent familier nous devinons le spectre;
Nos Pylades la-bas tendent leurs bras vers nous.
<< Pour rafraichir ton coeur nage vers ton Electre! >>
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, o Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous reconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brule le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du _nouveau! _
PIECES CONDAMNEES
LES BIJOUX
La tres chere etait nue, et, connaissant mon coeur,
Elle n'avait garde que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de metal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime avec fureur
Les choses ou le son se mele a la lumiere.
Elle etait donc couchee, et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d'aise
A mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixes sur moi, comme un tigre dompte,
D'un air vague et reveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie a la lubricite
Donnait un charme neuf a ses metamorphoses.
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
S'avancaient plus calins que les anges du mal,
Pour troubler le repos ou mon ame etait mise,
Et pour la deranger du rocher de cristal,
Ou calme et solitaire elle s'etait assise.
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard etait superbe!
--Et la lampe s'etant resignee a mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre!
LE LETHE
Viens sur mon coeur, ame cruelle et sourde,
Tigre adore, monstre aux airs indolents;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'epaisseur de ta criniere lourde;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tete endolorie,
Et respirer, comme une fleur fletrie,
Le doux relent de mon amour defunt.
Je veux dormir! dormir plutot que vivre!
Dans un sommeil, douteux comme la mort,
J'etalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaises
Rien ne me vaut l'abime de ta couche;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Lethe coule dans tes baisers.
A mon destin, desormais mon delice,
J'obeirai comme un predestine;
Martyr docile, innocent condamne,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancoeur,
Le nepenthes et la bonne cigue
Aux bouts charmants de cette gorge aigue
Qui n'a jamais emprisonne de coeur.
A CELLE QUI EST TROP GAIE
Ta tete, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu froles
Est ebloui par la sante
Qui jaillit comme une clarte
De tes bras et de tes epaules.
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsemes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poetes
L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'embleme
De ton esprit bariole;
Folle dont je suis affole,
Je te hais autant que je t'aime!
Quelquefois dans un beau jardin,
Ou je trainais mon atonie,
J'ai senti comme une ironie
Le soleil dechirer mon sein;
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilie mon coeur
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la nature.
Ainsi, je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptes sonne,
Vers les tresors de ta personne
Comme un lache ramper sans bruit,
Pour chatier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonne,
Et faire a ton flanc etonne
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur!
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim;
Venez vous enivrer de la couleur etrange
De cette apres-midi qui n'a jamais de fin? >>
A l'accent familier nous devinons le spectre;
Nos Pylades la-bas tendent leurs bras vers nous.
<< Pour rafraichir ton coeur nage vers ton Electre! >>
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, o Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous reconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brule le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du _nouveau! _
PIECES CONDAMNEES
LES BIJOUX
La tres chere etait nue, et, connaissant mon coeur,
Elle n'avait garde que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de metal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime avec fureur
Les choses ou le son se mele a la lumiere.
Elle etait donc couchee, et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d'aise
A mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixes sur moi, comme un tigre dompte,
D'un air vague et reveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie a la lubricite
Donnait un charme neuf a ses metamorphoses.
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
S'avancaient plus calins que les anges du mal,
Pour troubler le repos ou mon ame etait mise,
Et pour la deranger du rocher de cristal,
Ou calme et solitaire elle s'etait assise.
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard etait superbe!
--Et la lampe s'etant resignee a mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre!
LE LETHE
Viens sur mon coeur, ame cruelle et sourde,
Tigre adore, monstre aux airs indolents;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l'epaisseur de ta criniere lourde;
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tete endolorie,
Et respirer, comme une fleur fletrie,
Le doux relent de mon amour defunt.
Je veux dormir! dormir plutot que vivre!
Dans un sommeil, douteux comme la mort,
J'etalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaises
Rien ne me vaut l'abime de ta couche;
L'oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Lethe coule dans tes baisers.
A mon destin, desormais mon delice,
J'obeirai comme un predestine;
Martyr docile, innocent condamne,
Dont la ferveur attise le supplice,
Je sucerai, pour noyer ma rancoeur,
Le nepenthes et la bonne cigue
Aux bouts charmants de cette gorge aigue
Qui n'a jamais emprisonne de coeur.
A CELLE QUI EST TROP GAIE
Ta tete, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu froles
Est ebloui par la sante
Qui jaillit comme une clarte
De tes bras et de tes epaules.
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsemes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poetes
L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'embleme
De ton esprit bariole;
Folle dont je suis affole,
Je te hais autant que je t'aime!
Quelquefois dans un beau jardin,
Ou je trainais mon atonie,
J'ai senti comme une ironie
Le soleil dechirer mon sein;
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilie mon coeur
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la nature.
Ainsi, je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptes sonne,
Vers les tresors de ta personne
Comme un lache ramper sans bruit,
Pour chatier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonne,
Et faire a ton flanc etonne
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur!