Enfin la verite froide se revela:
J'etais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait.
J'etais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
PRIERE
Gloire et louange a toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, ou tu regnas, et dans les profondeurs
De l'Enfer ou, vaincu, tu reves en silence!
Fais que mon ame un jour, sous l'Arbre de Science,
Pres de toi se repose, a l'heure ou sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s'epandront!
LA MORT
LA MORT DES AMANTS
Nous aurons des lits pleins d'odeurs legeres,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'etranges fleurs sur des etageres,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.
Usant a l'envi leurs chaleurs dernieres,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui reflechiront leurs doubles lumieres
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous echangerons un eclair unique,
Comme un long sanglot, tout charge d'adieux;
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidele et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
LA MORT DES PAUVRES
C'est la Mort qui console, helas! et qui fait vivre;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un elixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir;
A travers la tempete, et la neige et le givre,
C'est la clarte vibrante a notre horizon noir;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Ou l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnetiques
Le sommeil et le don des reves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus!
LE REVE D'UN CURIEUX
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire: << Oh! l'homme singulier! >>
--J'allais mourir. C'etait dans mon ame amoureuse,
Desir mele d'horreur, un mal particulier;
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture etait apre et delicieuse;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.
J'etais comme l'enfant avide du spectacle,
Haissant le rideau comme on hait un obstacle. . .
Enfin la verite froide se revela:
J'etais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. --Eh quoi! n'est-ce donc que cela?
La toile etait levee et j'attendais encore.
LE VOYAGE
A MAXIME DU CAMP
I
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est egal a son vaste appetit.
Ah! que le monde est grand a la clarte des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de desirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Bercant notre infini sur le fini des mers:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infame;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyes dans les yeux d'une femme,
La Circe tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n'etre pas changes en betes, ils s'enivrent
D'espace et de lumiere et de cieux embrases;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent
Pour partir; coeurs legers, semblables aux ballons,
De leur fatalite jamais ils ne s'ecartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-la dont les desirs ont la forme des nues,
Et qui revent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptes, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!
II
Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; meme dans nos sommeils
La Curiosite nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singuliere fortune ou le but se deplace,
Et, n'etant nulle part, peut etre n'importe ou!
Ou l'Homme, dont jamais l'esperance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!