Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Baudelaire - Fleurs Du Mal
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaume, pour l'avoir
Caressee une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il preside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-etre est-il fee, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tires comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-meme,
Je vois avec etonnement
Le feu de ses prunelles pales,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
LE BEAU NAVIRE
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranges graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter, o molle enchanteresse,
Les diverses beautes qui parent ta jeunesse;
Je veux te peindre ta beaute
Ou l'enfance s'allie a la maturite.
Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire,
Ta gorge triomphante est une belle armoire
Dont les panneaux bombes et clairs
Comme les boucliers accrochent des eclairs;
Boucliers provoquants, armes de pointes roses!
Armoire a doux secrets, pleine de bonnes choses,
De vins, de parfums, de liqueurs
Qui feraient delirer les cerveaux et les coeurs!
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Charge de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes sons les volants qu'elles chassent,
Tourmentent les desirs obscurs et les agacent
Comme deux sorcieres qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.
Tes bras qui se joueraient des precoces hercules
Sont des boas luisants les solides emules,
Faits pour serrer obstinement,
Comme pour l'imprimer dans ton coeur, ton amant.
Sur ton cou large et rond, sur tes epaules grasses,
Ta tete se pavane avec d'etranches graces;
D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
L'IRREPARABLE
I
Pouvons-nous etouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chene la chenille?
Pouvons-nous etouffer l'implacable Remords?
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Dans quel philtre? --dans quel vin? --dans quelle tisane?
Dis-le, belle sorciere, oh! dis, si tu le sais,
A cet esprit comble d'angoisse
Et pareil au mourant qu'ecrasent les blesses,
Que le sabot du cheval froisse,
Dis-le, belle sorciere, oh! dis, si tu le sais,
A cet agonisant que le loup deja flaire
Et que surveille le corbeau,
A ce soldat brise, s'il faut qu'il desespere
D'avoir sa croix et son tombeau;
Ce pauvre agonisant que le loup deja flaire!
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?
Peut-on dechirer des tenebres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,
Sans astres, sans eclairs funebres?
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?
L'Esperance qui brille aux carreaux de l'Auberge
Est souillee, est morte a jamais!
Sans lune et sans rayons trouver ou l'on heberge
Les martyrs d'un chemin mauvais!
Le Diable a tout eteint aux carreaux de l'Auberge!
Adorable sorciere, aimes-tu les damnes!
Dis, connais-tu l'irremissible?
Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnes,
A qui notre coeur sert de cible?