ne
ralentis
pas tes flammes;
Rechauffe mon coeur engourdi,
Volupte, torture des ames!
Rechauffe mon coeur engourdi,
Volupte, torture des ames!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
LE GOUT DU NEANT
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'eperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied a chaque obstacle butte.
Resigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de gout, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flute!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!
Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur;
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute!
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t'eclaire avec son ardeur
L'autre en toi met son deuil. Naturel
Ce qui dit a l'un: Sepulture!
Dit a l'autre: Vie et splendeur!
Hermes inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'egal de Midas,
Le plus triste des alchimistes;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer;
Dans le suaire des nuages
Je decouvre un cadavre cher.
Et sur les celestes rivages
Je batis de grands sarcophages.
LA PRIERE D'UN PAIEN
Ah!
ne ralentis pas tes flammes;
Rechauffe mon coeur engourdi,
Volupte, torture des ames!
_Diva! supplicem exaudi! _
Deesse dans l'air repandue,
Flamme dans notre souterrain!
Exauce une ame morfondue,
Qui te consacre un chant d'airain.
Volupte, sois toujours ma reine!
Prends le masque d'une sirene
Faite de chair et de velours.
Ou verse-moi tes sommeils lourds
Dans le vin informe et mystique,
Volupte, fantome elastique!
LE COUVERCLE
En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur terre,
Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,
Serviteur de Jesus, courtisan de Cythere,
Mendiant tenebreux ou Cresus rutilant,
Citadin, campagnard, vagabond, sedentaire,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
Partout l'homme subit la terreur du mystere,
Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant.
En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'etouffe,
Plafond illumine pour un opera bouffe
Ou chaque histrion foule un sol ensanglante,
Terreur du libertin, espoir du fol ermite;
Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite
Ou bout l'imperceptible et vaste Humanite.
L'IMPREVU
Harpagon, qui veillait son pere agonisant,
Se dit, reveur, devant ces levres deja blanches;
<< Nous avons au grenier un nombre suffisant,
Ce me semble, de vieilles planches? >>
Celimene roucoule et dit: << Mon coeur est bon,
Et naturellement, Dieu m'a faite tres belle. >>
--Son coeur! coeur racorni, fume comme un jambon,
Recuit a la flamme eternelle!