SED NON SATIATA
Bizarre deite, brune comme les nuits,
Au parfum melange de musc et de havane,
OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorciere au flanc d'ebene, enfant des noirs minuits,
Je prefere au constance, a l'opium, au nuits,
L'elixir de ta bouche ou l'amour se pavane;
Quand vers toi mes desirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne ou boivent mes ennuis.
Bizarre deite, brune comme les nuits,
Au parfum melange de musc et de havane,
OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorciere au flanc d'ebene, enfant des noirs minuits,
Je prefere au constance, a l'opium, au nuits,
L'elixir de ta bouche ou l'amour se pavane;
Quand vers toi mes desirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne ou boivent mes ennuis.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Cheveux bleus, pavillon de tenebres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetes de vos meches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps! toujours! ma main dans ta criniere lourde
Semera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'a mon, desir tu ne sois jamais sourde!
N'es-tu pas l'oasis ou je reve, et la gourde
Ou je hume a longs traits le vin du souvenir?
Je t'adore a l'egal de la voute nocturne,
O vase de tristesse, o grande taciturne,
Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui separent mes bras des immensites bleues.
Je m'avance a l'attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme apres un cadavre un choeur de vermisseaux,
Et je cheris, o bete implacable et cruelle,
Jusqu'a cette froideur par ou tu m'es plus belle!
Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle,
Femme impure! L'ennui rend ton ame cruelle.
Pour exercer tes dents a ce jeu singulier,
Il te faut chaque jour un coeur au ratelier.
Tes yeux, illumines ainsi que des boutiques
Ou des ifs flamboyants dans les fetes publiques,
Usent insolemment d'un pouvoir emprunte,
Sans connaitre jamais la loi de leur beaute.
Machine aveugle et sourde en cruaute feconde!
Salutaire instrument, buveur du sang du monde,
Comment n'as-tu pas honte, et comment n'as-tu pas
Devant tous les miroirs vu palir tes appas?
La grandeur de ce mal ou tu te crois savante
Ne t'a donc jamais fait reculer d'epouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins caches,
De toi se sert, o femme, o reine des peches,
--De toi, vil animal,--pour petrir un genie?
O fangeuse grandeur, sublime ignominie!
SED NON SATIATA
Bizarre deite, brune comme les nuits,
Au parfum melange de musc et de havane,
OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorciere au flanc d'ebene, enfant des noirs minuits,
Je prefere au constance, a l'opium, au nuits,
L'elixir de ta bouche ou l'amour se pavane;
Quand vers toi mes desirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne ou boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton ame,
O demon sans pitie, verse-moi moins de flamme;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,
Helas! et je ne puis, Megere libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!
Avec ses vetements ondoyants et nacres,
Meme quand elle marche, on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacres
Au bout de leurs batons agitent en cadence.
Comme le sable morne et l'azur des deserts,
Insensibles tous deux a l'humaine souffrance,
Comme les longs reseaux de la houle des mers,
Elle se developpe avec indifference.
Ses yeux polis sont faits de mineraux charmants,
Et dans cette nature etrange et symbolique
Ou l'ange inviole se mele au sphinx antique,
Ou tout n'est qu'or, acier, lumiere et diamants,
Resplendit a jamais, comme un astre inutile,
La froide majeste de la femme sterile.
LE SERPENT QUI DANSE
Que j'aime voir, chere indolente,
De ton corps si beau,
Comme une etoile vacillante,
Miroiter la peau!
Sur ta chevelure profonde
Aux acres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns.
Comme un navire qui s'eveille
Au vent du matin,
Mon ame reveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, ou rien ne se revele
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids ou se mele
L'or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un baton;
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tete d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune elephant,
Et son corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord, et plonge
Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Boheme,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parseme
D'etoiles mon coeur!
UNE CHAROGNE
Rappelez-vous l'objet que nous vimes, mon ame,
Ce beau matin d'ete si doux:
Au detour d'un sentier une charogne infame
Sur un lit seme de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brulante et suant les poisons,
Ouvrait d'une facon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire a point,
Et de rendre au centuple a la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint.
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'epanouir;
La puanteur etait si forte que sur l'herbe
Vous crutes vous evanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'ou sortaient de noirs bataillons
De larves qui coulaient comme un epais liquide
Le long de ces vivants haillons.