J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait ou;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenetres,
Et mon esprit, toujours du vertige hante,
Jalouse du neant l'insensibilite.
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait ou;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenetres,
Et mon esprit, toujours du vertige hante,
Jalouse du neant l'insensibilite.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
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J'ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pamer sous son oeil comme un coeur qui palpite,. .
--Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon!
Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire;
L'irresistible Nuit etablit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons;
Une odeur de tombeau dans les tenebres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marecage,
Des crapauds imprevus et de froids limacons.
LE GOUFFRE
Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
--Helas! tout est abime,--action, desir, reve,
Parole! et sur mon poil qui tout droit se releve
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.
En haut, en bas, partout, la profondeur, la greve,
Le silence, l'espace affreux et captivant. . .
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans treve.
J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait ou;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenetres,
Et mon esprit, toujours du vertige hante,
Jalouse du neant l'insensibilite.
--Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Etres!
LES PLAINTES D'UN ICARE
Les amants des prostituees
Sont heureux, dispos et repus;
Quant a moi, mes bras sont rompus
Pour avoir etreint des nuees.
C'est grace aux astres non pareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
Que mes yeux consumes ne voient
Que des souvenirs de soleils.
En vain j'ai voulu de l'espace,
Trouver la fin et le milieu;
Sous je ne sais quel oeil de feu
Je sens mon aile qui se casse;
Et brule par l'amour du beau,
Je n'aurai pas l'honneur sublime
De donner mon nom a l'abime
Qui me servira de tombeau.
RECUEILLEMENT
Sois sage, o ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille,
Tu reclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphere obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fete servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les defuntes Annees,
Sur les balcons du ciel, en robes surannees;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;
Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul trainant a l'Orient,
Entends, ma chere, entends la douce Nuit qui marche.
L'HEAUTONTIMOROUMENOS
A. J. G. F.
Je te frapperai sans colere
Et sans haine,--comme un boucher!
Comme Moise le rocher,
--Et je ferai de ta paupiere,
Pour abreuver mon Sahara,
Jaillir les eaux de la souffrance,
Mon desir gonfle d'esperance
Sur tes pleurs sales nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils souleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge!
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grace a la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord?
Se pamer sous son oeil comme un coeur qui palpite,. .
--Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon!
Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire;
L'irresistible Nuit etablit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons;
Une odeur de tombeau dans les tenebres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marecage,
Des crapauds imprevus et de froids limacons.
LE GOUFFRE
Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
--Helas! tout est abime,--action, desir, reve,
Parole! et sur mon poil qui tout droit se releve
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.
En haut, en bas, partout, la profondeur, la greve,
Le silence, l'espace affreux et captivant. . .
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans treve.
J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait ou;
Je ne vois qu'infini par toutes les fenetres,
Et mon esprit, toujours du vertige hante,
Jalouse du neant l'insensibilite.
--Ah! ne jamais sortir des Nombres et des Etres!
LES PLAINTES D'UN ICARE
Les amants des prostituees
Sont heureux, dispos et repus;
Quant a moi, mes bras sont rompus
Pour avoir etreint des nuees.
C'est grace aux astres non pareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
Que mes yeux consumes ne voient
Que des souvenirs de soleils.
En vain j'ai voulu de l'espace,
Trouver la fin et le milieu;
Sous je ne sais quel oeil de feu
Je sens mon aile qui se casse;
Et brule par l'amour du beau,
Je n'aurai pas l'honneur sublime
De donner mon nom a l'abime
Qui me servira de tombeau.
RECUEILLEMENT
Sois sage, o ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille,
Tu reclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphere obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fete servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les defuntes Annees,
Sur les balcons du ciel, en robes surannees;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;
Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul trainant a l'Orient,
Entends, ma chere, entends la douce Nuit qui marche.
L'HEAUTONTIMOROUMENOS
A. J. G. F.
Je te frapperai sans colere
Et sans haine,--comme un boucher!
Comme Moise le rocher,
--Et je ferai de ta paupiere,
Pour abreuver mon Sahara,
Jaillir les eaux de la souffrance,
Mon desir gonfle d'esperance
Sur tes pleurs sales nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils souleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge!
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grace a la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord?