--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere.
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere.
Rimbaud - Poesie Completes
Ils surgissent, grondant comme des chats giffles,
Ouvrant lentement leurs omoplates, o rage!
Tout leur pantalon bouffe a leurs reins boursoufles.
Et vous les ecoutez cognant leurs tetes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Assis, les poings crispes dans des manchettes sales,
Ils songent a ceux-la qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chetifs s'agitent a crever.
Quand l'austere sommeil a baisse leurs visieres
Ils revent sur leurs bras de sieges fecondes,
De vrais petits amours de chaises en lisieres
Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordes.
Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu'au fil des glaieuls le vol des libellules,
--Et leur membre s'agace a des barbes d'epis!
LES EFFARES
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits,--misere! --
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond. . .
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus!