o toi qui fis ces hommes
saintement!
Rimbaud - Poesie Completes
Car l'Empereur est saoul de ses vingt ans d'orgie!
Il s'etait dit: <<Je vais souffler la Liberte
Bien delicatement, ainsi qu'une bougie! >>
La Liberte revit! Il se sent ereinte!
Il est pris. --Oh! quel nom sur ses levres muettes
Tressaille? Quel regret incapable le mord?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort.
Il repense peut-etre au Compere en lunettes. . .
--Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu
LE MAL
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;
Qu'ecarlates ou verts, pres du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;
Tandis qu'une folie epouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;
--Pauvres morts! dans l'ete, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature!
o toi qui fis ces hommes saintement! . . . --
--Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassees
Des autels, a l'encens, aux grands calices d'or;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se reveille, quand des meres, ramassees
Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lie dans leur mouchoir!
OPHELIE
I
Sur l'onde calme et noire ou dorment les etoiles,
La blanche Ophelia flotte comme un grand lys,
Flotte tres lentement, couchee en ses longs voiles. . .
--On entend dans les bois de lointains hallalis. . .
Voici plus de mille ans que la triste Ophelie
Passe, fantome blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance a la brise du soir.
Le vent baise ses seins et deploie en corolle
Ses longs voiles berces mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son epaule,
Sur son grand front reveur s'inclinent les roseaux.
Les nenuphars froisses soupirent autour d'elle;
Elle eveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'ou s'echappe un petit frisson d'aile.
--Un chant mysterieux tombe des astres d'or.
II
O pale Ophelia!