Va, si tu veux,
chercher
un fiance stupide;
Cours offrir un coeur vierge a ses cruels baisers;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatises;
On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre!
Cours offrir un coeur vierge a ses cruels baisers;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatises;
On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Mes baisers sont legers comme ces ephemeres
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornieres
Comme des chariots ou des socs dechirants;
Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitie. . .
Hippolyte, o ma soeur! tourne donc ton visage,
Toi, mon ame et mon coeur, mon tout et ma moitie,
Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'etoiles!
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je leverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un reve sans fin! >>
Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tete:
--<< Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiete,
Comme apres un nocturne et terrible repas.
Je sens fondre sur moi de lourdes epouvantes
Et de noirs bataillons de fantomes epars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.
Avons-nous donc commis une action etrange?
Expliques, si tu peux, mon trouble et mon effroi:
Je frissonne de peur quand tu me dis: mon ange!
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensee,
Toi que j'aime a jamais, ma soeur d'election,
Quand meme tu serais une embuche dressee,
Et le commencement de ma perdition! >>
Delphine secouant sa criniere tragique,
Et comme trepignant sur le trepied de fer,
L'oeil fatal, repondit d'une voix despotique:
--<< Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer?
Maudit soit a jamais le reveur inutile,
Qui voulut le premier dans sa stupidite,
S'eprenant d'un probleme insoluble et sterile,
Aux choses de l'amour meler l'honnetete!
Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour!
Va, si tu veux, chercher un fiance stupide;
Cours offrir un coeur vierge a ses cruels baisers;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatises;
On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre! >>
Mais l'enfant, epanchant une immense douleur,
Cria soudain: << Je sens s'elargir dans mon etre
Un abime beant; cet abime est mon coeur,
Brulant comme un volcan, profond comme le vide;
Rien ne ressasiera ce monstre gemissant
Et ne refraichira la choif de l'Eumenide,
Qui, la torche a la main, le brule jusqu'au sang.
Que nos rideaux fermes nous separent du monde,
Et que la lassitude amene le repos!
Je veux m'aneantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraicheur des tombeaux. >>
Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer eternel;
Plongez au plus profond du gouffre ou tous les crimes,
Flagelles par un vent qui ne vient pas du ciel,
Bouillonnent pele-mele avec un bruit d'orage;
Ombres folles, courez au but de vos desirs;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre chatiment naitra de vos plaisirs.
Jamais un rayon frais n'eclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fievreux
Filent en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et penetrent vos corps de leurs parfums affreux.
L'apre sterilite de votre jouissance
Altere votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.
Loin des peuples vivants, errantes, condamnees,
A travers les deserts courez comme les loups;
Faites votre destin, ames desordonnees,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous!
LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE
La femme cependant de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et petrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout impregnes de musc:
--<< Moi, j'ai la levre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je seche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les etoiles!
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptes,
Lorsque j'etouffe un homme en mes bras veloutes,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pame d'emoi
Les Anges impuissants se damneraient pour moi! >>
Quand elle eut de mes os suce toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deux yeux dans ma froide epouvante,
Et, quand je les rouvris a la clarte vivante,
A mes cotes, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusement des debris de squelette,
Qui d'eux-memes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
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