Ses parents
semblent
de doux portiers.
Rimbaud - Poesie Completes
Si je desire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide ou, vers le crepuscule embaume,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lache
Un bateau frele comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigne de vos langueurs, o lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
LES PREMIERES COMMUNIONS
I
Vraiment, c'est bete, ces eglises de villages
Ou quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Ecoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil eveille, a travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleilles,
La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fremit, solennelle,
Portant, pres des bles lourds, dans les sentiers sereux,
Ces arbrisseaux brules ou bleuit la prunelle,
Des noeuds de muriers noirs ou de rosiers furieux.
Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caille.
Si des mysticites grotesques sont notables
Pres de la Notre-Dame ou du saint empaille,
Des mouches sentant bon l'auberge et les etables
Se gorgent de cire au plancher ensoleille.
L'enfant se doit surtout a la maison, famille
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants,
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Ou le Pretre du Christ a mis ses doigts puissants.
On paie au Pretre un toit ombre d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoleon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure ou les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.
Les filles vont toujours a l'eglise, contentes
De s'entendre appeler garces par les garcons
Qui font du genre, apres messe et vepres chantantes,
Eux, qui sont destines au chic des garnisons,
Ils narguent au cafe les maisons importantes,
Blouses neuf et gueulant d'effroyables chansons.
Cependant le cure choisit, pour les enfances,
Des dessins; dans son clos, les vepres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en depit des celestes defenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant. . .
--La nuit vient, noir pirate au ciel noir debarquant.
II
Le pretre a distingue, parmi les catechistes
Congreges des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune.
Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catechistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses benitiers.
La veille du grand jour, l'enfant se fait malade
Mieux qu'a l'eglise haute aux funebres rumeurs.
D'abord le frisson vient, le lit n'etant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs. . .
Et, comme un vol d'amour fait a ses soeurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son coeur,
Ses Anges, ses Jesus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son ame a bu tout son vainqueur.
Adonai! . . . Dans les terminaisons latines
Des cieux moires de vert baignent les Fronts vermeils
Et taches du sang pur des celestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils.
Pour ses virginites presentes et futures
Elle mord aux fraicheurs de ta Remission;
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glaces, o Reine de Sion.
III
Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre;
Les mystiques elans se cassent quelquefois,
Et vient la pauvrete des images que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.
Des curiosites vaguement impudiques
Epouvantent le reve aux chastes bleuites
Qui sont surpris autour des celestes tuniques
Du linge dont Jesus voile ses nudites.
Elle veut, elle veut pourtant, l'ame en detresse,
Le front dans l'oreiller creuse par les cris sourds,
Prolonger les eclairs supremes de tendresse
Et bave.