O durs talons, jamais on n'use sa
sandale!
Rimbaud - Poesie Completes
.
--Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres.
SENSATION
Par les soirs bleus d'ete, j'irai dans les sentiers,
Picote par les bles, fouler l'herbe menue:
Reveur, j'en sentirai la fraicheur a mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tete nue!
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien;
Mais l'amour infini me montera dans l'ame,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohemien
Par la Nature,--heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
BAL DES PENDUS
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzebuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimacant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noel!
Et les pantins choques enlacent leurs bras greles:
Comme des orgues noirs, les poitrines a jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse!
On peut cabrioler, les treteaux sont si longs!
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse!
Belzebuth enrage racle ses violons!
O durs talons, jamais on n'use sa sandale!
Presque tous ont quitte la chemise de peau:
Le reste est peu genant et se voit sans scandale.
Sur les cranes, la neige applique un blanc chapeau:
Le corbeau fait panache a ces tetes felees,
Un morceau de chair tremble a leur maigre menton:
On dirait, tournoyant dans les sombres melees,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont repondant des forets violettes:
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer. . .
Hola, secouez-moi ces capitans funebres
Qui defilent, sournois, de leurs gros doigts casses
Un chapelet d'amour sur leurs pales vertebres:
Ce n'est pas un monstier ici, les trepasses!
Oh! voila qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporte par l'elan, comme un cheval se cabre:
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son femur qui craque
Avec des cris pareils a des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
ROMAN
I
On n'est pas serieux, quand on a dix-sept ans.
--Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Ces cafes tapageurs aux lustres eclatants!
--On va sous les tilleuls verts de la promenade,
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
--Elle etait fort deshabillee
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillee
Malinement, tout pres, tout pres.
SENSATION
Par les soirs bleus d'ete, j'irai dans les sentiers,
Picote par les bles, fouler l'herbe menue:
Reveur, j'en sentirai la fraicheur a mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tete nue!
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien;
Mais l'amour infini me montera dans l'ame,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohemien
Par la Nature,--heureux comme avec une femme.
Mars 1870.
BAL DES PENDUS
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzebuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimacant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noel!
Et les pantins choques enlacent leurs bras greles:
Comme des orgues noirs, les poitrines a jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse!
On peut cabrioler, les treteaux sont si longs!
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse!
Belzebuth enrage racle ses violons!
O durs talons, jamais on n'use sa sandale!
Presque tous ont quitte la chemise de peau:
Le reste est peu genant et se voit sans scandale.
Sur les cranes, la neige applique un blanc chapeau:
Le corbeau fait panache a ces tetes felees,
Un morceau de chair tremble a leur maigre menton:
On dirait, tournoyant dans les sombres melees,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont repondant des forets violettes:
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer. . .
Hola, secouez-moi ces capitans funebres
Qui defilent, sournois, de leurs gros doigts casses
Un chapelet d'amour sur leurs pales vertebres:
Ce n'est pas un monstier ici, les trepasses!
Oh! voila qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporte par l'elan, comme un cheval se cabre:
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son femur qui craque
Avec des cris pareils a des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
ROMAN
I
On n'est pas serieux, quand on a dix-sept ans.
--Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Ces cafes tapageurs aux lustres eclatants!
--On va sous les tilleuls verts de la promenade,
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!