Qu'importe le parfum, l'habit ou la
toilette?
Baudelaire - Fleurs Du Mal
La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Defend pudiquement des lazzi ridicules
Les funebres appas qu'elle tient a cacher.
Ses yeux profonds sont faits de vide et de tenebres
Et son crane, de fleurs artistement coiffe,
Oscille mollement sur ses freles vertebres.
--O charme d'un neant follement attife!
Aucuns t'appelleront une caricature,
Qui ne comprennent pas, amants ivres de chair,
L'elegance sans nom de l'humaine armature.
Tu reponds, grand squelette, a mon gout le plus cher!
Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace,
La fete de la Vie? ou quelque vieux desir,
Eperonnant encor ta vivante carcasse,
Te pousse-t-il, credule, au sabbat du Plaisir?
Au chant des violons, aux flammes des bougies,
Esperes-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De refraichir l'enfer allume dans ton coeur?
Inepuisable puits de sottise et de fautes!
De l'antique douleur eternel alambic!
A travers le treillis recourbe de tes cotes
Je vois, errant encor, l'insatiable aspic.
Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts:
Qui, de ces coeurs mortels, entend la raillerie?
Les charmes de l'horreur n'enivrent que les forts.
Le gouffre de tes yeux, plein d'horribles pensees,
Exalte le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d'ameres nausees
Le sourire eternel de tes trente-deux dents.
Pourtant, qui n'a serre dans ses bras un squelette,
Et qui ne s'est nourri des choses du tombeau?
Qu'importe le parfum, l'habit ou la toilette?
Qui fait le degoute montre qu'il se croit beau.
Bayadere sans nez, irresistible gouge,
Dis donc a ces danseurs qui font les offusques:
<< Fiers mignons, malgre l'art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort! O squelettes musques,
Antinous fletris, dandys a face glabre,
Cadavres vernisses, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraine en des lieux qui ne sont pas connus!
Des quais froids de la Seine aux bords brulants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pame, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange
Sinistrement beante ainsi qu'un tromblon noir.
En tout climat, sous ton soleil, la Mort t'admire
En tes contorsions, risible Humanite,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mele son ironie a ton insanite! >>
L'AMOUR DU MENSONGE
Quand je te vois passer, o ma chere indolente,
Au chant des instruments qui se brise au plafond,
Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
Et promenant l'ennui de ton regard profond;
Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore,
Ton front pale, embelli par un morbide attrait,
Ou les torches du soir allument une aurore,
Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait,
Je me dis: Qu'elle est belle! et bizarrement fraiche!
Le souvenir massif, royale et lourde tour,
La couronne, et son coeur, meurtri comme une peche,
Est mur, comme son corps, pour le savant amour.
Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines?
Es-tu vase funebre attendant quelques pleurs,
Parfum qui fait rever aux oasis lointaines,
Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?
Je sais qu'il est des yeux, des plus melancoliques,
Qui ne recelent point de secrets precieux;
Beaux ecrins sans joyaux, medaillons sans reliques,
Plus vides, plus profonds que vous-memes, o Cieux!
Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence,
Pour rejouir un coeur qui fuit la verite?
Qu'importe ta betise ou ton indifference?
Masque ou decor, salut! J'adore ta beaute.