CHATIMENT
DE L'ORGUEIL
En ces temps merveilleux ou la Theologie
Fleurit avec le plus de seve et d'energie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands
--Apres avoir force les coeurs indifferents,
Les avoir remues dans leurs profondeurs noires;
Apres avoir franchi vers les celestes gloires
Des chemins singuliers a lui-meme inconnus,
Ou les purs Esprits seuls peut-etre etaient venus,
--Comme un homme monte trop haut, pris de panique,
S'ecria, transporte d'un orgueil satanique:
<< Jesus, petit Jesus!
En ces temps merveilleux ou la Theologie
Fleurit avec le plus de seve et d'energie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands
--Apres avoir force les coeurs indifferents,
Les avoir remues dans leurs profondeurs noires;
Apres avoir franchi vers les celestes gloires
Des chemins singuliers a lui-meme inconnus,
Ou les purs Esprits seuls peut-etre etaient venus,
--Comme un homme monte trop haut, pris de panique,
S'ecria, transporte d'un orgueil satanique:
<< Jesus, petit Jesus!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Les houles, en roulant les images des cieux,
Melaient d'une facon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflete par mes yeux.
C'est la que j'ai vecu dans les voluptes calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout impregnes d'odeurs,
Qui me rafraichissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin etait d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
BOHEMIENS EN VOYAGE
La tribu prophetique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant a leurs fiers appetits
Le tresor toujours pret des mamelles pendantes.
Les hommes vont a pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots ou les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimeres absentes.
Du fond de son reduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybele, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le desert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des tenebres futures.
L'HOMME ET LA MER
Homme libre, toujours tu cheriras la mer!
La mer est ton miroir; tu contemples ton ame
Dans le deroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous etes tous les deux tenebreux et discrets,
Homme, nul n'a sonde le fond de tes abimes;
O mer, nul ne connait tes richesses intimes,
Tant vous etes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voila des siecles innombrables
Que vous vous combattez sans pitie ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs eternels, o freres implacables!
DON JUAN AUX ENFERS
Quand don Juan descendit vers l'onde souterraine,
Et lorsqu'il eut donne son obole a Charon,
Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthene,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derriere lui trainaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui reclamait ses gages,
Tandis que don Luis avec un doigt tremblant
Montrait a tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Pres de l'epoux perfide et qui fui son amant
Semblait lui reclamer un supreme sourire
Ou brillat la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait a la barre et coupait le flot noir;
Mais le calme heros, courbe sur sa rapiere,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
CHATIMENT DE L'ORGUEIL
En ces temps merveilleux ou la Theologie
Fleurit avec le plus de seve et d'energie,
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands
--Apres avoir force les coeurs indifferents,
Les avoir remues dans leurs profondeurs noires;
Apres avoir franchi vers les celestes gloires
Des chemins singuliers a lui-meme inconnus,
Ou les purs Esprits seuls peut-etre etaient venus,
--Comme un homme monte trop haut, pris de panique,
S'ecria, transporte d'un orgueil satanique:
<< Jesus, petit Jesus! je t'ai pousse bien haut!
Mais, si j'avais voulu t'attaquer au defaut
De l'armure, ta honte egalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu'un foetus derisoire! >>
Immediatement sa raison s'en alla.
L'eclat de ce soleil d'un crepe se voila;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence.
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s'installerent en lui,
Comme dans un caveau dont la clef est perdue.
Des lors il fut semblable aux betes de la rue,
Et, quand il s'en allait sans rien voir, a travers
Les champs, sans distinguer les etes des hivers,
Sale, inutile et laid comme une chose usee,
Il faisait des enfants la joie et la risee.
LA BEAUTE
Je suis belle, o mortels! comme un reve de pierre,
Et mon sein, ou chacun s'est meurtri tour a tour,
Est fait pour inspirer au poete un amour
Eternel et muet ainsi que la matiere.
Je trone dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un coeur de neige a la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui deplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poetes, devant mes grandes attitudes.
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austeres etudes;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartes eternelles!
L'IDEAL
Ce ne seront jamais ces beautes de vignettes,
Produits avaries, nes d'un siecle vaurien,
Ces pieds a brodequins, ces doigts a castagnettes,
Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.
Je laisse, a Gavarni, poete des chloroses,
Soa troupeau gazouillant de beautes d'hopital,
Car je ne puis trouver parmi ces pales roses
Une fleur qui ressemble a mon rouge ideal.
Ce qu'il faut a ce coeur profond comme un abime,
C'est vous, Lady Macbeth, ame puissante au crime,
Reve d'Eschyle eclos au climat des autans;
Ou bien toi, grand Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisiblement dans une pose etrange
Tes appas faconnes aux bouches des Titans!