--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Defilent lentement dans mon ame; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crane incline plante son drapeau noir.
Defilent lentement dans mon ame; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crane incline plante son drapeau noir.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Mon chat sur le carreau cherchant une litiere
Agite sans repos son corps maigre et galeux;
L'ame d'un vieux poete erre dans la gouttiere
Avec la triste voix d'un fantome frileux.
Le bourdon se lamente, et la buche enfumee
Accompagne en fausset la pendule enrhumee,
Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,
Heritage fatal d'une vieille hydropique,
Le beau valet de coeur et la dame de pique
Causent sinistrement de leurs amours defunts.
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble a tiroirs encombre de bilans,
De vers, de billets doux, de proces, de romances,
Avec de lourds cheveux roules dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
--Je suis un cimetiere abhorre de la lune,
Ou comme des remords se trainent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanees,
Ou git tout un fouillis de modes surannees,
Ou les pastels plaintifs et les pales Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon debouche.
Rien n'egale en longueur les boiteuses journees,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses annees
L'ennui, fruit de la morne incuriosite,
Prend les proportions de l'immortalite.
--Desormais tu n'es plus, o matiere vivante!
Qu'un granit entoure d'une vague epouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux!
Un vieux sphinx ignore du monde insoucieux,
Oublie sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant tres vieux,
Qui, de ses precepteurs meprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres betes.
Rien ne peut l'egayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon,
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelise se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son etre extirper l'element corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
Il n'a su rechauffer ce cadavre hebete
Ou coule au lieu de sang l'eau verte du Lethe.
Quand le ciel bas et lourd pese comme un couvercle
Sur l'esprit gemissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changee en un cachot humide,
Ou l'Esperance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tete a des plafonds pourris;
Quand la pluie etalant ses immenses trainees
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infames araignees
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout a coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent a geindre opiniatrement.
--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Defilent lentement dans mon ame; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crane incline plante son drapeau noir.
LE GOUT DU NEANT
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'eperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied a chaque obstacle butte.
Resigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de gout, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flute!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!
Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur;
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute!
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t'eclaire avec son ardeur
L'autre en toi met son deuil. Naturel
Ce qui dit a l'un: Sepulture!
Dit a l'autre: Vie et splendeur!
Hermes inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'egal de Midas,
Le plus triste des alchimistes;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer;
Dans le suaire des nuages
Je decouvre un cadavre cher.
Et sur les celestes rivages
Je batis de grands sarcophages.
LA PRIERE D'UN PAIEN
Ah!