Meme on eut dit parfois qu'elle croyait
Que tout voulait l'aimer; elle noyait
Dans les baisers du satin et du linge
Son beau corps nu, plein de frissonnements,
Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,
Montrait la grace enfantine du singe.
Que tout voulait l'aimer; elle noyait
Dans les baisers du satin et du linge
Son beau corps nu, plein de frissonnements,
Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,
Montrait la grace enfantine du singe.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
emmitoufle-toi d'ombre;
Dors ou fume a ton gre; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout entiere au gouffre de l'Ennui;
Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,
Comme un astre eclipse qui sort de la penombre,
Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,
C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton etui!
Allume ta prunelle a la flamme des lustres!
Allume le desir dans les regards des rustres!
Tout de toi m'est plaisir, morbide ou petulant;
Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;
Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie: _O mon cher Belzebuth, je t'adore! _
UN FANTOME
I
LES TENEBRES
Dans les caveaux d'insondable tristesse
Ou le Destin m'a deja relegue;
Ou jamais n'entre un rayon rose et gai;
Ou, seul avec la Nuit, maussade hotesse,
Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne a peindre, helas! sur les tenebres;
Ou, cuisinier aux appetits funebres,
Je fais bouillir et je mange mon coeur,
Par instants brille, et s'allonge, et s'etale
Un spectre fait de grace et de splendeur:
A sa reveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse:
C'est Elle! sombre et pourtant lumineuse.
II
LE PARFUM
Lecteur, as-tu quelquefois respire
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d'encens qui remplit une eglise,
Ou d'un sachet le musc invetere?
Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le present le passe restaure!
Ainsi l'amant sur un corps adore
Du souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux elastiques et lourds,
Vivant sachet, encensoir de l'alcove,
Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours,
Tout impregnes de sa jeunesse pure,
Se degageait un parfum de fourrure.
III
LE CADRE
Comme un beau cadre ajoute a la peinture,
Bien qu'elle soit d'un pinceau tres vante,
Je ne sais quoi d'etrange et d'enchante
En l'isolant de l'immense nature.
Ainsi bijoux, meubles, metaux, dorure,
S'adaptaient juste a sa rare beaute;
Rien n'offusquait sa parfaite clarte,
Et tout semblait lui servir de bordure.
Meme on eut dit parfois qu'elle croyait
Que tout voulait l'aimer; elle noyait
Dans les baisers du satin et du linge
Son beau corps nu, plein de frissonnements,
Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,
Montrait la grace enfantine du singe.
IV
LE PORTRAIT
La Maladie et la Mort font des cendres
De tout le feu qui pour nous flamboya.
De ces grands yeux si fervents et si tendres,
De cette bouche ou mon coeur se noya,
De ces baisers puissants comme un dictame,
De ces transports plus vifs que des rayons.
Que reste-t-il? C'est affreux, o mon ame!
Rien qu'un dessin fort pale, aux trois crayons,
Qui, comme moi, meurt dans la solitude,
Et que le Temps, injurieux vieillard,
Chaque jour frotte avec son aile rude. . .
Noir assassin de la Vie et de l'Art,
Tu ne tueras jamais dans ma memoire
Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!
Je te donne ces vers afin que, si mon nom
Aborde heureusement aux epoques lointaines
Et fait rever un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorise par un grand aquilon,
Ta memoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chainon
Reste comme pendue a mes rimes hautaines;
Etre maudit a qui de l'abime profond
Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne repond;
--O toi qui, comme une ombre a la trace ephemere,
Foules d'un pied leger et d'un regard serein
Les stupides mortels qui t'ont jugee amere,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain!
SEMPER EADEM
<< D'ou vous vient, disiez-vous, cette tristesse etrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu? >>
--Quand notre coeur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal! C'est un secret de tous connu,
Une douleur tres simple et non mysterieuse,
Et, comme votre joie, eclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, o belle curieuse!
Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!
Taisez-vous, ignorante!
Dors ou fume a ton gre; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout entiere au gouffre de l'Ennui;
Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,
Comme un astre eclipse qui sort de la penombre,
Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,
C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton etui!
Allume ta prunelle a la flamme des lustres!
Allume le desir dans les regards des rustres!
Tout de toi m'est plaisir, morbide ou petulant;
Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;
Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie: _O mon cher Belzebuth, je t'adore! _
UN FANTOME
I
LES TENEBRES
Dans les caveaux d'insondable tristesse
Ou le Destin m'a deja relegue;
Ou jamais n'entre un rayon rose et gai;
Ou, seul avec la Nuit, maussade hotesse,
Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne a peindre, helas! sur les tenebres;
Ou, cuisinier aux appetits funebres,
Je fais bouillir et je mange mon coeur,
Par instants brille, et s'allonge, et s'etale
Un spectre fait de grace et de splendeur:
A sa reveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse:
C'est Elle! sombre et pourtant lumineuse.
II
LE PARFUM
Lecteur, as-tu quelquefois respire
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d'encens qui remplit une eglise,
Ou d'un sachet le musc invetere?
Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le present le passe restaure!
Ainsi l'amant sur un corps adore
Du souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux elastiques et lourds,
Vivant sachet, encensoir de l'alcove,
Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours,
Tout impregnes de sa jeunesse pure,
Se degageait un parfum de fourrure.
III
LE CADRE
Comme un beau cadre ajoute a la peinture,
Bien qu'elle soit d'un pinceau tres vante,
Je ne sais quoi d'etrange et d'enchante
En l'isolant de l'immense nature.
Ainsi bijoux, meubles, metaux, dorure,
S'adaptaient juste a sa rare beaute;
Rien n'offusquait sa parfaite clarte,
Et tout semblait lui servir de bordure.
Meme on eut dit parfois qu'elle croyait
Que tout voulait l'aimer; elle noyait
Dans les baisers du satin et du linge
Son beau corps nu, plein de frissonnements,
Et, lente ou brusque, en tous ses mouvements,
Montrait la grace enfantine du singe.
IV
LE PORTRAIT
La Maladie et la Mort font des cendres
De tout le feu qui pour nous flamboya.
De ces grands yeux si fervents et si tendres,
De cette bouche ou mon coeur se noya,
De ces baisers puissants comme un dictame,
De ces transports plus vifs que des rayons.
Que reste-t-il? C'est affreux, o mon ame!
Rien qu'un dessin fort pale, aux trois crayons,
Qui, comme moi, meurt dans la solitude,
Et que le Temps, injurieux vieillard,
Chaque jour frotte avec son aile rude. . .
Noir assassin de la Vie et de l'Art,
Tu ne tueras jamais dans ma memoire
Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!
Je te donne ces vers afin que, si mon nom
Aborde heureusement aux epoques lointaines
Et fait rever un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorise par un grand aquilon,
Ta memoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chainon
Reste comme pendue a mes rimes hautaines;
Etre maudit a qui de l'abime profond
Jusqu'au plus haut du ciel rien, hors moi, ne repond;
--O toi qui, comme une ombre a la trace ephemere,
Foules d'un pied leger et d'un regard serein
Les stupides mortels qui t'ont jugee amere,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain!
SEMPER EADEM
<< D'ou vous vient, disiez-vous, cette tristesse etrange,
Montant comme la mer sur le roc noir et nu? >>
--Quand notre coeur a fait une fois sa vendange,
Vivre est un mal! C'est un secret de tous connu,
Une douleur tres simple et non mysterieuse,
Et, comme votre joie, eclatante pour tous.
Cessez donc de chercher, o belle curieuse!
Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!
Taisez-vous, ignorante!