Demain, apres-demain et
toujours!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
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A cet etre doue de tant de majeste
Vois quel charme excitant la gentillesse donne!
Approchons, et tournons autour de sa beaute.
O blaspheme de l'art! o surprise fatale!
La femme au corps divin, promettant le bonheur,
Par le haut se termine en monstre bicephale!
Mais non! Ce n'est qu'un masque, un decor suborneur,
Ce visage eclaire d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispee atrocement,
La veritable tete, et la sincere face
Renversee a l'abri de la face qui ment.
--Pauvre grande beaute! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux;
Ton mensonge m'enivre, et mon ame s'abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!
--Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beaute parfaite
Qui mettrait a ses pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mysterieux ronge son flanc d'athlete?
--Elle pleure, insense, parce qu'elle a vecu!
Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle deplore
Surtout, ce qui la fait fremir jusqu'aux genoux,
C'est que demain, helas! il faudra vivre encore!
Demain, apres-demain et toujours! --comme nous!
HYMNE A LA BEAUTE
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime,
O Beaute? Ton regard, infernal et divin,
Verse confusement le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;
Tu repands des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un filtre et ta bouche une amphore
Qui font le heros lache et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?
Le Destin charme suit tes jupons comme un chien;
Tu semes au hasard la joie et les desastres,
Et tu gouvernes tout et ne reponds de rien.
Tu marches sur des morts. Beaute, dont tu te moques;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus cheres breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L'ephemere ebloui vole vers toi, chandelle,
Crepite, flambe et dit: Benissons ce flambeau!
L'amoureux pantelant incline sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
O Beaute! monstre enorme, effrayant, ingenu!
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu?
De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirene,
Qu'importe, si tu rends,--fee aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, o mon unique reine!
A cet etre doue de tant de majeste
Vois quel charme excitant la gentillesse donne!
Approchons, et tournons autour de sa beaute.
O blaspheme de l'art! o surprise fatale!
La femme au corps divin, promettant le bonheur,
Par le haut se termine en monstre bicephale!
Mais non! Ce n'est qu'un masque, un decor suborneur,
Ce visage eclaire d'une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispee atrocement,
La veritable tete, et la sincere face
Renversee a l'abri de la face qui ment.
--Pauvre grande beaute! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux;
Ton mensonge m'enivre, et mon ame s'abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!
--Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beaute parfaite
Qui mettrait a ses pieds le genre humain vaincu,
Quel mal mysterieux ronge son flanc d'athlete?
--Elle pleure, insense, parce qu'elle a vecu!
Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle deplore
Surtout, ce qui la fait fremir jusqu'aux genoux,
C'est que demain, helas! il faudra vivre encore!
Demain, apres-demain et toujours! --comme nous!
HYMNE A LA BEAUTE
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime,
O Beaute? Ton regard, infernal et divin,
Verse confusement le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;
Tu repands des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un filtre et ta bouche une amphore
Qui font le heros lache et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?
Le Destin charme suit tes jupons comme un chien;
Tu semes au hasard la joie et les desastres,
Et tu gouvernes tout et ne reponds de rien.
Tu marches sur des morts. Beaute, dont tu te moques;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus cheres breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L'ephemere ebloui vole vers toi, chandelle,
Crepite, flambe et dit: Benissons ce flambeau!
L'amoureux pantelant incline sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
O Beaute! monstre enorme, effrayant, ingenu!
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu?
De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirene,
Qu'importe, si tu rends,--fee aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, o mon unique reine!