Tel le vieux vagabond,
pietinant
dans la boue,
Reve, le nez en l'air, de brillants paradis;
Son oeil ensorcele decouvre une Capoue
Partout ou la chandelle illumine un taudis.
Reve, le nez en l'air, de brillants paradis;
Son oeil ensorcele decouvre une Capoue
Partout ou la chandelle illumine un taudis.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Singuliere fortune ou le but se deplace,
Et, n'etant nulle part, peut etre n'importe ou!
Ou l'Homme, dont jamais l'esperance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre ame est un trois-mats cherchant son Icarie;
Une voix retentit sur le pont: << Ouvre l'oeil! >>
Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
<< Amour. . . gloire. . . bonheur! >> Enfer! c'est un ecueil!
Chaque ilot signale par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un recit aux clartes du matin.
O le pauvre amoureux des pays chimeriques!
Faut-il le mettre aux fers, le jeter a la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Ameriques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer?
Tel le vieux vagabond, pietinant dans la boue,
Reve, le nez en l'air, de brillants paradis;
Son oeil ensorcele decouvre une Capoue
Partout ou la chandelle illumine un taudis.
III
Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
Montrez-nous les ecrins de vos riches memoires,
Les bijoux merveilleux, faits d'astres et d'ethers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour egayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez-vous vu?
IV
<< Nous avons vu des astres
Et des flots; nous avons vu des sables aussi;
Et, malgre bien des chocs et d'imprevus desastres,
Nous nous sommes souvent ennuyes, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cites dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiete
De plonger dans un ciel au reflet allechant.
Les plus riches cites, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mysterieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages,
Et toujours le desir nous rendait soucieux!
--La jouissance ajoute au desir de la force.
Desir, vieil arbre a qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton ecorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus pres!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cypres? --Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Freres qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salue des idoles a trompe;
Des trones constelles de joyaux lumineux;
Des palais ouvrages dont la feerique pompe
Serait pour vos banquiers un reve ruineux;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. >>
V
Et puis, et puis encore?