Naturel
Ce qui dit a l'un: Sepulture!
Ce qui dit a l'un: Sepulture!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant tres vieux,
Qui, de ses precepteurs meprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres betes.
Rien ne peut l'egayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon,
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade;
Son lit fleurdelise se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son etre extirper l'element corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
Il n'a su rechauffer ce cadavre hebete
Ou coule au lieu de sang l'eau verte du Lethe.
Quand le ciel bas et lourd pese comme un couvercle
Sur l'esprit gemissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changee en un cachot humide,
Ou l'Esperance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tete a des plafonds pourris;
Quand la pluie etalant ses immenses trainees
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infames araignees
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout a coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent a geindre opiniatrement.
--Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Defilent lentement dans mon ame; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crane incline plante son drapeau noir.
LE GOUT DU NEANT
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'eperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied a chaque obstacle butte.
Resigne-toi, mon coeur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de gout, non plus que la dispute;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flute!
Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur!
Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur;
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute!
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur,
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t'eclaire avec son ardeur
L'autre en toi met son deuil.
Naturel
Ce qui dit a l'un: Sepulture!
Dit a l'autre: Vie et splendeur!
Hermes inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'egal de Midas,
Le plus triste des alchimistes;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer;
Dans le suaire des nuages
Je decouvre un cadavre cher.
Et sur les celestes rivages
Je batis de grands sarcophages.
LA PRIERE D'UN PAIEN
Ah! ne ralentis pas tes flammes;
Rechauffe mon coeur engourdi,
Volupte, torture des ames!
_Diva! supplicem exaudi! _
Deesse dans l'air repandue,
Flamme dans notre souterrain!
Exauce une ame morfondue,
Qui te consacre un chant d'airain.
Volupte, sois toujours ma reine!
Prends le masque d'une sirene
Faite de chair et de velours.
Ou verse-moi tes sommeils lourds
Dans le vin informe et mystique,
Volupte, fantome elastique!
LE COUVERCLE
En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur terre,
Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,
Serviteur de Jesus, courtisan de Cythere,
Mendiant tenebreux ou Cresus rutilant,
Citadin, campagnard, vagabond, sedentaire,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
Partout l'homme subit la terreur du mystere,
Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant.
En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'etouffe,
Plafond illumine pour un opera bouffe
Ou chaque histrion foule un sol ensanglante,
Terreur du libertin, espoir du fol ermite;
Le Ciel!