Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un debris
Et dans un baillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui!
Il ferait volontiers de la terre un debris
Et dans un baillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Sa mere et son ami
Charles Asselineau etaient a son chevet. Ses oeuvres lui ont survecu,
mais la place d'honneur qu'il meritait par son genie parmi les
romantiques ne lui fut vraiment accordee qu'a l'aube de ce siecle. On
l'avait tenu jusqu'alors pour un tres habile ciseleur de phrases, le
Benvenuto Cellini des vers, mais c'etait presque un incompris, un
nevrose.
Il commenca, dit-on, par etonner les sots, mais il devait etonner bien
davantage les gens d'esprit en laissant a la posterite ce livre
immortel: _les Fleurs du Mal. _
Henry FRICHET.
AU LECTEUR
La sottise, l'erreur, le peche, la lesine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos peches sont tetus, nos repentirs sont laches,
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismegiste
Qui berce longuement notre esprit enchante,
Et le riche metal de notre volonte
Est tout vaporise par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets repugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, a travers des tenebres qui puent.
Ainsi qu'un debauche pauvre qui baise et mange
Le sein martyrise d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serre, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Demons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brode de leurs plaisants desseins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre ame, helas! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les pantheres, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants
Dans la menagerie infame de nos vices,
Il en est un plus laid, plus mechant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un debris
Et dans un baillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui! --L'oeil charge d'un pleur involontaire,
Il reve d'echafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre delicat,
--Hypocrite lecteur,--mon semblable,--mon frere!
SPLEEN ET IDEAL
BENEDICTION
Lorsque, par un decret des puissances supremes,
Le Poete apparait en ce monde ennuye,
Sa mere epouvantee et pleine de blasphemes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitie:
<< Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de viperes,
Plutot que de nourrir cette derision!
Maudite soit la nuit aux plaisirs ephemeres
Ou mon ventre a concu mon expiation!
<< Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour etre le degout de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
<< Je ferai rejaillir la haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes mechancetes,
Et je tordrai si bien cet arbre miserable,
Qu'il ne pourra poussa ses boutons empestes! >>
Elle ravale ainsi l'ecume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins eternels,
Elle-meme prepare au fond de la Gehenne
Les buchers consacres aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'Enfant desherite s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pelerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillite,
Cherchent a qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur ferocite.
Dans le pain et le vin destines a sa bouche
Ils melent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques:
<< Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le metier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer;
<< Et je me soulerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De genuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins!
<< Et, quand je m'ennuirai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frele et forte main;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'a son coeur se frayer un chemin.
<< Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bete favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dedain! >>
Vers le Ciel, ou son oeil voit un trone splendide,
Le Poete serein leve ses bras pieux,
Et les vastes eclairs de son esprit lucide
Lui derobent l'aspect des peuples furieux:
<< Soyez beni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remede a nos impuretes,
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prepare les forts aux saintes voluptes!
Charles Asselineau etaient a son chevet. Ses oeuvres lui ont survecu,
mais la place d'honneur qu'il meritait par son genie parmi les
romantiques ne lui fut vraiment accordee qu'a l'aube de ce siecle. On
l'avait tenu jusqu'alors pour un tres habile ciseleur de phrases, le
Benvenuto Cellini des vers, mais c'etait presque un incompris, un
nevrose.
Il commenca, dit-on, par etonner les sots, mais il devait etonner bien
davantage les gens d'esprit en laissant a la posterite ce livre
immortel: _les Fleurs du Mal. _
Henry FRICHET.
AU LECTEUR
La sottise, l'erreur, le peche, la lesine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos peches sont tetus, nos repentirs sont laches,
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismegiste
Qui berce longuement notre esprit enchante,
Et le riche metal de notre volonte
Est tout vaporise par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets repugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, a travers des tenebres qui puent.
Ainsi qu'un debauche pauvre qui baise et mange
Le sein martyrise d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serre, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Demons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brode de leurs plaisants desseins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre ame, helas! n'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les pantheres, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants
Dans la menagerie infame de nos vices,
Il en est un plus laid, plus mechant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un debris
Et dans un baillement avalerait le monde;
C'est l'Ennui! --L'oeil charge d'un pleur involontaire,
Il reve d'echafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre delicat,
--Hypocrite lecteur,--mon semblable,--mon frere!
SPLEEN ET IDEAL
BENEDICTION
Lorsque, par un decret des puissances supremes,
Le Poete apparait en ce monde ennuye,
Sa mere epouvantee et pleine de blasphemes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitie:
<< Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de viperes,
Plutot que de nourrir cette derision!
Maudite soit la nuit aux plaisirs ephemeres
Ou mon ventre a concu mon expiation!
<< Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour etre le degout de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
<< Je ferai rejaillir la haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes mechancetes,
Et je tordrai si bien cet arbre miserable,
Qu'il ne pourra poussa ses boutons empestes! >>
Elle ravale ainsi l'ecume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins eternels,
Elle-meme prepare au fond de la Gehenne
Les buchers consacres aux crimes maternels.
Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'Enfant desherite s'enivre de soleil,
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.
Il joue avec le vent, cause avec le nuage
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pelerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.
Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillite,
Cherchent a qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur ferocite.
Dans le pain et le vin destines a sa bouche
Ils melent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.
Sa femme va criant sur les places publiques:
<< Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le metier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer;
<< Et je me soulerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De genuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins!
<< Et, quand je m'ennuirai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frele et forte main;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'a son coeur se frayer un chemin.
<< Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bete favorite,
Je le lui jetterai par terre avec dedain! >>
Vers le Ciel, ou son oeil voit un trone splendide,
Le Poete serein leve ses bras pieux,
Et les vastes eclairs de son esprit lucide
Lui derobent l'aspect des peuples furieux:
<< Soyez beni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remede a nos impuretes,
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prepare les forts aux saintes voluptes!