Quand viendra le matin livide,
Tu trouveras ma place vide,
Ou jusqu'au soir il fera froid.
Tu trouveras ma place vide,
Ou jusqu'au soir il fera froid.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
Sur ta chair le parfum rode
Comme autour d'un encensoir;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe tenebreuse et chaude.
Ah! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts!
Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.
Quelquefois pour apaiser
Ta rage mysterieuse,
Tu prodigues, serieuse,
La morsure et le baiser;
Tu me dechires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon coeur
Ton oeil doux comme la lune.
Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon genie et mon destin,
Mon ame par toi guerie,
Par toi, lumiere et couleur!
Explosion de chaleur
Dans ma noire Siberie!
SISINA
Imaginez Diane en galant equipage,
Parcourant les forets ou battant les halliers,
Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage,
Superbe et defiant les meilleurs cavaliers!
Avez-vous vu Theroigne, amante du carnage,
Excitant a l'assaut un peuple sans souliers,
La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage,
Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers?
Telle la Sisina! Mais la douce guerriere
A l'ame charitable autant que meurtriere,
Son courage, affole de poudre et de tambours,
Devant les suppliants sait mettre bas les armes,
Et son coeur, ravage par la flamme, a toujours,
Pour qui s'en montre digne, un reservoir de larmes.
A UNE DAME CREOLE
Au pays parfume que le soleil caresse,
J'ai connu sous un dais d'arbres tout empourpres
Et de palmiers, d'ou pleut sur les yeux la paresse,
Une dame creole aux charmes ignores.
Son teint est pale et chaud; la brune enchanteresse
A dans le col des airs noblement manieres;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assures.
Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d'orner les antiques manoirs,
Vous feriez, a l'abri des ombreuses retraites,
Germer mille sonnets dans le coeur des poetes,
Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
LE REVENANT
Comme les anges a l'oeil fauve,
Je reviendrai dans ton alcove
Et vers toi glisserai sans bruit
Avec les ombres de la nuit;
Et je te donnerai, ma brune,
Des baisers froids comme la lune
Et des caresses de serpent
Autour d'une fosse rampant.
Quand viendra le matin livide,
Tu trouveras ma place vide,
Ou jusqu'au soir il fera froid.
Comme d'autres par la tendresse,
Sur ta vie et sur ta jeunesse,
Moi, je veux regner par l'effroi!
SONNET D'AUTOMNE
Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal:
<< Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon merite? >>
--Sois charmante et tais-toi! Mon coeur, que tout irrite,
Excepte la candeur de l'antique animal,
Ne veut pas te montrer son secret infernal,
Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite,
Ni sa noire legende avec la flamme ecrite.
Je hais la passion et l'esprit me fait mal!
Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guerite,
Tenebreux, embusque, bande son arc fatal.
Je connais les engins de son vieil arsenal:
Crime, horreur et folie! --O pale marguerite!
Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal,
O ma si blanche, o ma si froide Marguerite?
TRISTESSE DE LA LUNE
Ce soir, la lune reve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beaute, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et legere caresse,
Avant de s'endormir, le contour de ses seins,
Sur le dos satine des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pamoisons,
Et promene ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.
Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poete pieux, ennemi du sommeil,
Dans le creux de sa main prend cette larme pale,
Aux reflets irises comme un fragment d'opale,
Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.
LES CHATS
Les amoureux fervents et les savants austeres
Aiment egalement dans leur mure saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sedentaires.
Amis de la science et de la volupte,
Ils cherchent le silence et l'horreur des tenebres;
L'Erebe les eut pris pour ses coursiers funebres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierte.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allonges au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un reve sans fin;
Leurs reins feconds sont pleins d'etincelles magiques,
Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.