Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
la derniere auberge!
),
Ou tout te dira: Meurs, vieux lache! il est trop tard! >>
TABLEAUX PARISIENS
LE SOLEIL
Le long du vieux faubourg, ou pendant aux masures
Les persiennes, abri des secretes luxures,
Quand le soleil cruel frappe a traits redoubles
Sur la ville et les champs, sur les toits et les bles.
Je vais m'exercer seul a ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime.
Trebuchant sur les mots comme sur les paves,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps reves.
Ce pere nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses;
Il fait s'evaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de bequilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croitre et de murir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poete, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hopitaux et dans tous les palais.
LA LUNE OFFENSEE
O Lune qu'adoraient discretement nos peres,
Du haut des pays bleus ou, radieux serail,
Les astres vont te suivre en pimpant attirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,
Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prosperes,
De leur bouche en dormant montrer le frais email?
Le poete buter du front sur son travail?
Ou sous les gazons secs s'accoupler les viperes?
Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin,
Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin,
Baiser d'Endymion les graces surannees?
<< --Je vois ta mere, enfant de ce siecle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d'annees,
Et platre artistement le sein qui t'a nourri! >>
A UNE MENDIANTE ROUSSE
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont ta robe par ses trous
Laisse voir la pauvrete
Et la beaute,
Pour moi, poete chetif,
Ton jeune corps maladif
Plein de taches de rousseur
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d'un haillon trop court,
Qu'un superbe habit de cour
Traine a plis bruyants et longs
Sur tes talons;
Et place de bas troues,
Que pour les yeux des roues
Sur ta jambe un poignard d'or
Reluise encor;
Que des noeuds mal attaches
Devoilent pour nos peches
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux;
Que pour te deshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent a coups mutins
Les doigts lutins;
--Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maitre Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse offerts,
Valetaille de rimeurs
Te dediant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,
Maint page epris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Epieraient pour le deduit
Ton frais reduit!
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lys
Et rangerais sous tes lois
Plus d'un Valois!
--Cependant tu vas gueusant
Quelque vieux debris gisant
Au seuil de quelque Vefour
De carrefour;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh! pardon!
Te faire don;
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudite,
O ma beaute!
LE CYGNE
A VICTOR HUGO
I
Andromaque, je pense a vous! --Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir ou jadis resplendit
L'immense majeste de vos douleurs de veuve,
Ce Simois menteur qui par vos pleurs grandit,
A feconde soudain ma memoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
--Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, helas! que le coeur d'un mortel);
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ebauches et de futs,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques
Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus.
La s'etalait jadis une menagerie;
La je vis, un matin, a l'heure ou sous les cieux
Clairs et froids le Travail s'eveille, ou la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'etait evade de sa cage,
Et, de ses pieds palmes frottant le pave sec,
Sur le sol raboteux trainait son grand plumage.
Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec,
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:
<< Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,
Je vois ce malheureux, mythe etrange et fatal, foudre?
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tete avide,
Comme s'il adressait des reproches a Dieu!
II
Paris change, mais rien dans ma melancolie
N'a bouge! palais neufs, echafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Ou tout te dira: Meurs, vieux lache! il est trop tard! >>
TABLEAUX PARISIENS
LE SOLEIL
Le long du vieux faubourg, ou pendant aux masures
Les persiennes, abri des secretes luxures,
Quand le soleil cruel frappe a traits redoubles
Sur la ville et les champs, sur les toits et les bles.
Je vais m'exercer seul a ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime.
Trebuchant sur les mots comme sur les paves,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps reves.
Ce pere nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses;
Il fait s'evaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de bequilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croitre et de murir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poete, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hopitaux et dans tous les palais.
LA LUNE OFFENSEE
O Lune qu'adoraient discretement nos peres,
Du haut des pays bleus ou, radieux serail,
Les astres vont te suivre en pimpant attirail,
Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,
Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prosperes,
De leur bouche en dormant montrer le frais email?
Le poete buter du front sur son travail?
Ou sous les gazons secs s'accoupler les viperes?
Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin,
Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin,
Baiser d'Endymion les graces surannees?
<< --Je vois ta mere, enfant de ce siecle appauvri,
Qui vers son miroir penche un lourd amas d'annees,
Et platre artistement le sein qui t'a nourri! >>
A UNE MENDIANTE ROUSSE
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont ta robe par ses trous
Laisse voir la pauvrete
Et la beaute,
Pour moi, poete chetif,
Ton jeune corps maladif
Plein de taches de rousseur
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d'un haillon trop court,
Qu'un superbe habit de cour
Traine a plis bruyants et longs
Sur tes talons;
Et place de bas troues,
Que pour les yeux des roues
Sur ta jambe un poignard d'or
Reluise encor;
Que des noeuds mal attaches
Devoilent pour nos peches
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux;
Que pour te deshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent a coups mutins
Les doigts lutins;
--Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maitre Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse offerts,
Valetaille de rimeurs
Te dediant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,
Maint page epris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Epieraient pour le deduit
Ton frais reduit!
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lys
Et rangerais sous tes lois
Plus d'un Valois!
--Cependant tu vas gueusant
Quelque vieux debris gisant
Au seuil de quelque Vefour
De carrefour;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh! pardon!
Te faire don;
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudite,
O ma beaute!
LE CYGNE
A VICTOR HUGO
I
Andromaque, je pense a vous! --Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir ou jadis resplendit
L'immense majeste de vos douleurs de veuve,
Ce Simois menteur qui par vos pleurs grandit,
A feconde soudain ma memoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
--Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, helas! que le coeur d'un mortel);
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ebauches et de futs,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flasques
Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus.
La s'etalait jadis une menagerie;
La je vis, un matin, a l'heure ou sous les cieux
Clairs et froids le Travail s'eveille, ou la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'etait evade de sa cage,
Et, de ses pieds palmes frottant le pave sec,
Sur le sol raboteux trainait son grand plumage.
Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec,
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal:
<< Eau, quand donc pleuvras-tu? quand tonneras-tu,
Je vois ce malheureux, mythe etrange et fatal, foudre?
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tete avide,
Comme s'il adressait des reproches a Dieu!
II
Paris change, mais rien dans ma melancolie
N'a bouge! palais neufs, echafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.