Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Rimbaud - Poesie Completes
.
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pate grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils ecoutent le bon pain cuire
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Faconne, petillant et jaune,
On sort le pain;
Quand, sous les poutres enfumees,
Chantent les croutes parfumees,
Et les grillons;
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur ame si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre!
--Qu'ils sont la, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas,--comme une priere. . .
Replies vers cette lumiere
Du ciel rouvert,
--Si fort, qu'ils crevent leur culotte,
--Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver. . .
20 septembre 1870.
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des reves indistincts,
Il vient pres de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de freles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant devant une croisee
Grande ouverte ou l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux ou tombe la rosee
Promenent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il ecoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels vegetaux et roses
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la levre ou desirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumes; et leurs doigts electriques et doux
Font crepiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voila que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait delirer;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un desir de pleurer.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guide par les haleurs;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'etais insoucieux de tous les equipages,
Porteur de bles flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laisse descendre ou je voulais.
Dans les clapotements furieux des marees,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Peninsules demarrees,
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempete a beni mes eveils maritimes.
Plus leger qu'un bouchon j'ai danse sur les flots
Qu'on appelle rouleurs eternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures
L'eau verte penetra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et des lors je me suis baigne dans le poeme
De la mer, infuse d'astres et latescent,
Devorant les azurs verts ou, flottaison bleme
Et ravie, un noye pensif parfois descend,
Ou, teignant tout a coup les bleuites, delires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent les rousseurs ameres de l'amour.
Je sais les cieux crevant en eclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltee ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas tache d'horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils a des acteurs de drames tres antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets;
J'ai reve la nuit verte aux neiges eblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des seves inouies
Et l'eveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.
J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hysteriques, la houle a l'assaut des recifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Oceans poussifs;
J'ai heurte, savez-vous? d'incroyables Florides,
Melant aux fleurs des yeux de pantheres, aux peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, a de glauques troupeaux;
J'ai vu fermenter les marais enormes, nasses
Ou pourrit dans les joncs tout un Leviathan,
Des ecroulements d'eaux au milieu des bonaces
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises!