Et
cependant
je sens ma bouche aller vers toi.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L'air brise, la stupeur, la morne volupte,
Ses bras vaincus, jetes comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beaute.
Etendue a ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Apres l'avoir d'abord marquee avec les dents.
Beaute forte a genoux devant la beaute frele,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle
Comme pour recueillir un doux remerciment.
Elle cherchait dans l'oeil de sa pale victime
Le cantique muet que chante le plaisir
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupiere ainsi qu'un long soupir:
--<< Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses?
Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir
L'holocauste sacre de tes premieres roses
Aux souffles violents qui pourraient les fletrir?
Mes baisers sont legers comme ces ephemeres
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornieres
Comme des chariots ou des socs dechirants;
Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitie. . .
Hippolyte, o ma soeur! tourne donc ton visage,
Toi, mon ame et mon coeur, mon tout et ma moitie,
Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'etoiles!
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je leverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un reve sans fin! >>
Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tete:
--<< Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiete,
Comme apres un nocturne et terrible repas.
Je sens fondre sur moi de lourdes epouvantes
Et de noirs bataillons de fantomes epars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.
Avons-nous donc commis une action etrange?
Expliques, si tu peux, mon trouble et mon effroi:
Je frissonne de peur quand tu me dis: mon ange!
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensee,
Toi que j'aime a jamais, ma soeur d'election,
Quand meme tu serais une embuche dressee,
Et le commencement de ma perdition! >>
Delphine secouant sa criniere tragique,
Et comme trepignant sur le trepied de fer,
L'oeil fatal, repondit d'une voix despotique:
--<< Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer?
Maudit soit a jamais le reveur inutile,
Qui voulut le premier dans sa stupidite,
S'eprenant d'un probleme insoluble et sterile,
Aux choses de l'amour meler l'honnetete!
Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour!
Va, si tu veux, chercher un fiance stupide;
Cours offrir un coeur vierge a ses cruels baisers;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatises;
On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maitre! >>
Mais l'enfant, epanchant une immense douleur,
Cria soudain: << Je sens s'elargir dans mon etre
Un abime beant; cet abime est mon coeur,
Brulant comme un volcan, profond comme le vide;
Rien ne ressasiera ce monstre gemissant
Et ne refraichira la choif de l'Eumenide,
Qui, la torche a la main, le brule jusqu'au sang.
Que nos rideaux fermes nous separent du monde,
Et que la lassitude amene le repos!
Je veux m'aneantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraicheur des tombeaux. >>
Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer eternel;
Plongez au plus profond du gouffre ou tous les crimes,
Flagelles par un vent qui ne vient pas du ciel,
Bouillonnent pele-mele avec un bruit d'orage;
Ombres folles, courez au but de vos desirs;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre chatiment naitra de vos plaisirs.
Jamais un rayon frais n'eclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fievreux
Filent en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et penetrent vos corps de leurs parfums affreux.
L'apre sterilite de votre jouissance
Altere votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.
Loin des peuples vivants, errantes, condamnees,
A travers les deserts courez comme les loups;
Faites votre destin, ames desordonnees,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous!
LES METAMORPHOSES DU VAMPIRE
La femme cependant de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et petrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout impregnes de musc:
--<< Moi, j'ai la levre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je seche tous les pleurs sur mes seins triomphants
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les etoiles!