Mais des
chansons
spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Voltigent partout les groseilles.
Rimbaud - Poesie Completes
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques.
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon coeur triste est ravale:
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, o coeur vole?
TETE DE FAUNE
Dans la feuillee, ecrin vert tache d'or,
Dans la feuillee incertaine et fleurie,
D'enormes fleurs ou l'acre baiser dort
Vif et devant l'exquise broderie,
Le Faune affole montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa levre eclate en rires par les branches;
Et quand il a fui, tel un ecureuil,
Son rire perle encore a chaque feuille
Et l'on croit epeure par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
POISON PERDU
Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n'est reste;
Pas une dentelle d'ete,
Pas une cravate commune.
Et sur le balcon, ou le the
Se prend aux heures de la lune,
Il n'est reste de trace aucune,
Aucun souvenir n'est reste,
Au bord d'un rideau bleu piquee,
Luit une epingle a tete d'or
Comme un gros insecte qui dort,
Pointe d'un fin poison trempee,
Je te prends, sois-moi preparee
Aux heures des desirs de mort.
LES CORBEAUX
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus
Sur la nature defleurie,
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux delicieux.
Armee etrange aux cris severes,
Les vents froids attaquent vos nids!
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fosses et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous!
Par milliers, sur les champs de France,
Ou dorment les morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense!
Sois donc le crieur du devoir,
O notre funebre oiseau noir!
Mais, saints du ciel, en haut du chene,
Mat perdu dans le soir charme,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaine,
Dans l'herbe d'ou l'on ne peut fuir,
La defaite sans avenir.
1872.
PATIENCE
_D'un ete. _
Aux branches claires des tilleurs
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevetrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
Azur et Onde communient.
Je sors! Si un rayon me blesse,
Je succomberai sur la mousse.
Qu'on patiente et qu'on s'ennuie,
C'est si simple! . . . Fi de ces peines!
Je veux que l'ete dramatique
Me lie a son char de fortune.
Que par toi beaucoup, o Nature,
--Ah! moins nul et moins seul! je meure,
Au lieu que les bergers, c'est drole,
Meurent a peu pres par le monde.
Je veux bien que les saisons m'usent.
A toi, Nature!