Les
mysteres
partout coulent comme des seves
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Baudelaire - Fleurs Du Mal
palais neufs, echafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:
Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exiles, ridicule et sublime,
Et ronge d'un desir sans treve! et puis a vous,
Andromaque, des bras d'un grand epoux tombee,
Vil betail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Aupres d'un tombeau vide en extase courbee;
Veuve d'Hector, helas! et femme d'Helenus!
Je pense a la negresse, amaigrie et phtisique,
Pietinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derriere la muraille immense du brouillard;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais! jamais! a ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins sechant comme des fleurs!
Ainsi dans la foret ou mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne a plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oublies dans une ile,
Aux captifs, aux vaincus! . . . a bien d'autres encor!
LES SEPT VIEILLARDS
A VICTOR HUGO
Fourmillante cite, cite pleine de reves,
Ou le spectre en plein jour raccroche le passant!
Les mysteres partout coulent comme des seves
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une riviere accrue,
Et que, decor semblable a l'ame de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un heros
Et discutant avec mon ame deja lasse,
Le faubourg secoue par les lourds tombereaux.
Tout a coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumones,
Sans la mechancete qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eut dit sa prunelle trempee
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe a longs poils, roide comme une epee,
Se projetait, pareille a celle de Judas.
Il n'etait pas voute, mais casse, son echine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son baton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupede infirme ou d'un juif a trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empetrant,
Comme s'il ecrasait des morts sous ses savates,
Hostile a l'univers plutot qu'indifferent.
Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, baton, loques,
Nul trait ne distinguait, du meme enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du meme pas vers un but inconnu.
A quel complot infame etais-je donc en butte,
Ou quel mechant hasard ainsi m'humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
Que celui-la qui rit de mon inquietude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel
Songe bien que malgre tant de decrepitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air eternel!
Aurais-je, sans mourir, contemple le huitieme,
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Degoutant Phenix, fils et pere de lui-meme?
--Mais je tournai le dos au cortege infernal.
Exaspere comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, epouvante,
Malade et morfondu, l'esprit fievreux et trouble,
Blesse par le mystere et par l'absurdite!
Vainement ma raison voulait prendre la barre;
La tempete en jouant deroutait ses efforts,
Et mon ame dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mats, sur une mer monstrueuse et sans bords!
LES PETITES VIEILLES
A VICTOR HUGO
I
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Ou tout, meme l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obeissant a mes humeurs fatales,
Des etres singuliers, decrepits et charmants.
Ces monstres disloques furent jadis des femmes,
Eponine ou Lais!
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allegorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime:
Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exiles, ridicule et sublime,
Et ronge d'un desir sans treve! et puis a vous,
Andromaque, des bras d'un grand epoux tombee,
Vil betail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Aupres d'un tombeau vide en extase courbee;
Veuve d'Hector, helas! et femme d'Helenus!
Je pense a la negresse, amaigrie et phtisique,
Pietinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derriere la muraille immense du brouillard;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais! jamais! a ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins sechant comme des fleurs!
Ainsi dans la foret ou mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne a plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oublies dans une ile,
Aux captifs, aux vaincus! . . . a bien d'autres encor!
LES SEPT VIEILLARDS
A VICTOR HUGO
Fourmillante cite, cite pleine de reves,
Ou le spectre en plein jour raccroche le passant!
Les mysteres partout coulent comme des seves
Dans les canaux etroits du colosse puissant.
Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une riviere accrue,
Et que, decor semblable a l'ame de l'acteur,
Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un heros
Et discutant avec mon ame deja lasse,
Le faubourg secoue par les lourds tombereaux.
Tout a coup, un vieillard dont les guenilles jaunes
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumones,
Sans la mechancete qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. On eut dit sa prunelle trempee
Dans le fiel; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe a longs poils, roide comme une epee,
Se projetait, pareille a celle de Judas.
Il n'etait pas voute, mais casse, son echine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son baton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit
D'un quadrupede infirme ou d'un juif a trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empetrant,
Comme s'il ecrasait des morts sous ses savates,
Hostile a l'univers plutot qu'indifferent.
Son pareil le suivait: barbe, oeil, dos, baton, loques,
Nul trait ne distinguait, du meme enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du meme pas vers un but inconnu.
A quel complot infame etais-je donc en butte,
Ou quel mechant hasard ainsi m'humiliait?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait!
Que celui-la qui rit de mon inquietude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel
Songe bien que malgre tant de decrepitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air eternel!
Aurais-je, sans mourir, contemple le huitieme,
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Degoutant Phenix, fils et pere de lui-meme?
--Mais je tournai le dos au cortege infernal.
Exaspere comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, epouvante,
Malade et morfondu, l'esprit fievreux et trouble,
Blesse par le mystere et par l'absurdite!
Vainement ma raison voulait prendre la barre;
La tempete en jouant deroutait ses efforts,
Et mon ame dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mats, sur une mer monstrueuse et sans bords!
LES PETITES VIEILLES
A VICTOR HUGO
I
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Ou tout, meme l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obeissant a mes humeurs fatales,
Des etres singuliers, decrepits et charmants.
Ces monstres disloques furent jadis des femmes,
Eponine ou Lais!