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Title: Alcools
Author: Guillaume Apollinaire
Release Date: March 25, 2005 [EBook #15462]
[This file last updated October 31, 2010]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALCOOLS ***
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French - Apollinaire - Alcools
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The Project Gutenberg EBook of Alcools, by Guillaume Apollinaire
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Title: Alcools
Author: Guillaume Apollinaire
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Guillaume Apollinaire
ALCOOLS
(1898 - 1912)
Table des matieres
Zone
Le pont Mirabeau
La Chanson du Mal-Aime
Aubade chantee a Laetare l'an passe
Beaucoup de ces dieux. . .
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Voie lactee {1}
Les sept epees
Voie lactee {2}
Les colchiques
Palais
Chantre
Crepuscule
Annie
La maison des morts
Clotilde
Cortege
Marizibill
Le voyageur
Marie
La blanche neige
Poeme lu au mariage d'Andre Salmon
L'Adieu
Salome
La porte
Merlin et la vieille femme
Saltimbanques
Le larron
Le vent nocturne
Lul de Faltenin
La tzigane
L'ermite
Automne
L'Emigrant de Landor Road
Rosemonde
Le brasier
Je flambe dans le brasier
Descendant des hauteurs
Rhenanes
Nuit rhenane
Mai
La synagogue
Les cloches
La Loreley
Schinderhannes
Rhenane d'automne
Les sapins
Les femmes
Signe
Un soir
La dame
Les fiancailles
Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris
Je n'ai plus meme pitie de moi
J'ai eu le courage de regarder en arriere
Pardonnez-moi mon ignorance
J'observe le repos du dimanche
A la fin les mensonges ne me font plus peur
Au tournant d'une rue je vis des matelots
Templiers flamboyants je brule parmi vous
Clair de lune
1909
A la Sante
Automne malade
Hotels
Cors de chasse
Vendemiaire
ZONE
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergere o tour Eiffel le troupeau des ponts bele ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquite grecque et romaine
Ici meme les automobiles ont l'air d'etre anciennes
La religion seule est restee toute neuve la religion
Est restee simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique o Christianisme
L'Europeen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenetres observent la honte te retient
D'entrer dans une eglise et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent
tout haut
Voila la poesie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons a 25 centimes pleines d'aventures policieres
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublie le nom
Neuve et propre du soleil elle etait le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles steno-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirene y gemit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis a la facon des perroquets criaillent
J'aime la grace de cette rue industrielle
Situee a Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des
Ternes
Voila la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mere ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es tres pieux et avec le plus ancien de tes camarades Rene
Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Eglise
Il est neuf heures le gaz est baisse tout bleu vous sortez du
dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du college
Tandis qu'eternelle et adorable profondeur amethyste
Tourne a jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'eteint pas le vent
C'est le fils pale et vermeil de la douloureuse mere
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prieres
C'est la double potence de l'honneur et de l'eternite
C'est l'etoile a six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il detient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtieme pupille des siecles il sait y faire
Et change en oiseau ce siecle comme Jesus monte dans l'air
Les diables dans les abimes levent la tete pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judee
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aeroplane
Ils s'ecartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la
Sainte-Eucharistie
Ces pretres qui montent eternellement elevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
A tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc celebre par les conteurs et les poetes
Plane tenant dans les serres le crane d'Adam la premiere tete
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amerique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immacule
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocelle
Le phenix ce bucher qui soi-meme s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirenes laissant les perilleux detroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phenix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants pres de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus etre aime
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastere
Vous avez honte quand vous vous surprenez a dire une priere
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire petille
Les etincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musee
Et quelquefois tu vas le regarder de pres
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantees
C'etait et je voudrais ne pas m'en souvenir c'etait au declin de
la beaute
Entouree de flammes ferventes Notre-Dame m'a regarde a Chartres
Le sang de votre Sacre-Coeur m'a inonde a Montmartre
Je suis malade d'ouir les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possede te fait survivre dans l'insomnie et dans
l'angoisse
C'est toujours pres de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Mediterranee
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'annee
Avec tes amis tu te promenes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'ecrire ton conte en prose
La cetoine qui dort dans le coeur de la rose
Epouvante tu te vois dessine dans les agates de Saint-Vit
Tu etais triste a mourir le jour ou tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affole par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont a rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en ecoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tcheques
Te voici a Marseille au milieu des pasteques
Te voici a Coblence a l'hotel du Geant
Te voici a Rome assis sous un neflier du Japon
Te voici a Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et
qui est laide
Elle doit se marier avec un etudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passe trois jours et autant a Gouda
Tu es a Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en etat d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'age
Tu as souffert de l'amour a vingt et a trente ans
J'ai vecu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et a tous moments je voudrais
sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a epouvante
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres emigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur etoile comme les rois-mages
Ils esperent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays apres avoir fait fortune
Une famille transporte un edredon rouge comme vous transportez
votre coeur
Cet edredon et nos reves sont aussi irreels
Quelques-uns de ces emigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se deplacent rarement comme les pieces aux echecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un cafe a deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas mechantes elles ont des soucis cependant
Toutes meme la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercees
J'ai une pitie immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant a une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'eloigne ainsi qu'une belle Metive
C'est Ferdine la fausse ou Lea l'attentive
Et tu bois cet alcool brulant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi a pied
Dormir parmi tes fetiches d'Oceanie et de Guinee
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inferieurs des obscures esperances
Adieu Adieu
Soleil cou coupe
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours apres la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face a face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des eternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Esperance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passe
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
LA CHANSON DU MAL-AIME
A Paul Leautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour a la semblance
Du beau Phenix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume a Londres
Un voyou qui ressemblait a
Mon amour vint a ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garcon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hebreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimee
Je suis le souverain d'Egypte
Sa soeur-epouse son armee
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brulant
De tous les feux de ses facades
Plaies du brouillard sanguinolent
Ou se lamentaient les facades
Une femme lui ressemblant
C'etait son regard d'inhumaine
La cicatrice a son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment ou je reconnus
La faussete de l'amour meme
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Pres d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revint
L'epoux royal de Sacontale
Las de vaincre se rejouit
Quand il la retrouva plus pale
D'attente et d'amour yeux palis
Caressant sa gazelle male
J'ai pense a ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infideles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre a mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverne dans mon passe
Revienne le soleil de Paques
Pour chauffer un coeur plus glace
Que les quarante de Sebaste
Moins que ma vie martyrises
Mon beau navire o ma memoire
Avons-nous assez navigue
Dans une onde mauvaise a boire
Avons-nous assez divague
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'eloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'annee derniere en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Je me souviens d'une autre annee
C'etait l'aube d'un jour d'avril
J'ai chante ma joie bien-aimee
Chante l'amour a voix virile
Au moment d'amour de l'annee
Aubade chantee a Laetare l'an passe
C'est le printemps viens-t'en Paquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquetent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine a ta conquete
Mars et Venus sont revenus
Ils s'embrassent a bouches folles
Devant des sites ingenus
Ou sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la regente
De la floraison qui parait
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la foret
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux. . .
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ALCOOLS
(1898 - 1912)
Table des matieres
Zone
Le pont Mirabeau
La Chanson du Mal-Aime
Aubade chantee a Laetare l'an passe
Beaucoup de ces dieux. . .
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Voie lactee {1}
Les sept epees
Voie lactee {2}
Les colchiques
Palais
Chantre
Crepuscule
Annie
La maison des morts
Clotilde
Cortege
Marizibill
Le voyageur
Marie
La blanche neige
Poeme lu au mariage d'Andre Salmon
L'Adieu
Salome
La porte
Merlin et la vieille femme
Saltimbanques
Le larron
Le vent nocturne
Lul de Faltenin
La tzigane
L'ermite
Automne
L'Emigrant de Landor Road
Rosemonde
Le brasier
Je flambe dans le brasier
Descendant des hauteurs
Rhenanes
Nuit rhenane
Mai
La synagogue
Les cloches
La Loreley
Schinderhannes
Rhenane d'automne
Les sapins
Les femmes
Signe
Un soir
La dame
Les fiancailles
Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris
Je n'ai plus meme pitie de moi
J'ai eu le courage de regarder en arriere
Pardonnez-moi mon ignorance
J'observe le repos du dimanche
A la fin les mensonges ne me font plus peur
Au tournant d'une rue je vis des matelots
Templiers flamboyants je brule parmi vous
Clair de lune
1909
A la Sante
Automne malade
Hotels
Cors de chasse
Vendemiaire
ZONE
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergere o tour Eiffel le troupeau des ponts bele ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquite grecque et romaine
Ici meme les automobiles ont l'air d'etre anciennes
La religion seule est restee toute neuve la religion
Est restee simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique o Christianisme
L'Europeen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenetres observent la honte te retient
D'entrer dans une eglise et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent
tout haut
Voila la poesie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons a 25 centimes pleines d'aventures policieres
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublie le nom
Neuve et propre du soleil elle etait le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles steno-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirene y gemit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis a la facon des perroquets criaillent
J'aime la grace de cette rue industrielle
Situee a Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des
Ternes
Voila la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mere ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es tres pieux et avec le plus ancien de tes camarades Rene
Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Eglise
Il est neuf heures le gaz est baisse tout bleu vous sortez du
dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du college
Tandis qu'eternelle et adorable profondeur amethyste
Tourne a jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'eteint pas le vent
C'est le fils pale et vermeil de la douloureuse mere
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prieres
C'est la double potence de l'honneur et de l'eternite
C'est l'etoile a six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il detient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtieme pupille des siecles il sait y faire
Et change en oiseau ce siecle comme Jesus monte dans l'air
Les diables dans les abimes levent la tete pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judee
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aeroplane
Ils s'ecartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la
Sainte-Eucharistie
Ces pretres qui montent eternellement elevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
A tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc celebre par les conteurs et les poetes
Plane tenant dans les serres le crane d'Adam la premiere tete
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amerique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immacule
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocelle
Le phenix ce bucher qui soi-meme s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirenes laissant les perilleux detroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phenix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants pres de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus etre aime
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastere
Vous avez honte quand vous vous surprenez a dire une priere
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire petille
Les etincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musee
Et quelquefois tu vas le regarder de pres
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantees
C'etait et je voudrais ne pas m'en souvenir c'etait au declin de
la beaute
Entouree de flammes ferventes Notre-Dame m'a regarde a Chartres
Le sang de votre Sacre-Coeur m'a inonde a Montmartre
Je suis malade d'ouir les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possede te fait survivre dans l'insomnie et dans
l'angoisse
C'est toujours pres de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Mediterranee
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'annee
Avec tes amis tu te promenes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'ecrire ton conte en prose
La cetoine qui dort dans le coeur de la rose
Epouvante tu te vois dessine dans les agates de Saint-Vit
Tu etais triste a mourir le jour ou tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affole par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont a rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en ecoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tcheques
Te voici a Marseille au milieu des pasteques
Te voici a Coblence a l'hotel du Geant
Te voici a Rome assis sous un neflier du Japon
Te voici a Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et
qui est laide
Elle doit se marier avec un etudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passe trois jours et autant a Gouda
Tu es a Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en etat d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'age
Tu as souffert de l'amour a vingt et a trente ans
J'ai vecu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et a tous moments je voudrais
sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a epouvante
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres emigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur etoile comme les rois-mages
Ils esperent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays apres avoir fait fortune
Une famille transporte un edredon rouge comme vous transportez
votre coeur
Cet edredon et nos reves sont aussi irreels
Quelques-uns de ces emigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se deplacent rarement comme les pieces aux echecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un cafe a deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas mechantes elles ont des soucis cependant
Toutes meme la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercees
J'ai une pitie immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant a une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'eloigne ainsi qu'une belle Metive
C'est Ferdine la fausse ou Lea l'attentive
Et tu bois cet alcool brulant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi a pied
Dormir parmi tes fetiches d'Oceanie et de Guinee
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inferieurs des obscures esperances
Adieu Adieu
Soleil cou coupe
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours apres la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face a face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des eternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Esperance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passe
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
LA CHANSON DU MAL-AIME
A Paul Leautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour a la semblance
Du beau Phenix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume a Londres
Un voyou qui ressemblait a
Mon amour vint a ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garcon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hebreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimee
Je suis le souverain d'Egypte
Sa soeur-epouse son armee
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brulant
De tous les feux de ses facades
Plaies du brouillard sanguinolent
Ou se lamentaient les facades
Une femme lui ressemblant
C'etait son regard d'inhumaine
La cicatrice a son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment ou je reconnus
La faussete de l'amour meme
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Pres d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revint
L'epoux royal de Sacontale
Las de vaincre se rejouit
Quand il la retrouva plus pale
D'attente et d'amour yeux palis
Caressant sa gazelle male
J'ai pense a ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infideles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre a mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverne dans mon passe
Revienne le soleil de Paques
Pour chauffer un coeur plus glace
Que les quarante de Sebaste
Moins que ma vie martyrises
Mon beau navire o ma memoire
Avons-nous assez navigue
Dans une onde mauvaise a boire
Avons-nous assez divague
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'eloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'annee derniere en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Je me souviens d'une autre annee
C'etait l'aube d'un jour d'avril
J'ai chante ma joie bien-aimee
Chante l'amour a voix virile
Au moment d'amour de l'annee
Aubade chantee a Laetare l'an passe
C'est le printemps viens-t'en Paquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquetent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine a ta conquete
Mars et Venus sont revenus
Ils s'embrassent a bouches folles
Devant des sites ingenus
Ou sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la regente
De la floraison qui parait
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la foret
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux. . .
Beaucoup de ces dieux ont peri
C'est sur eux que pleurent les saules
Le grand Pan l'amour Jesus-Christ
Sont bien morts et les chats miaulent
Dans la cour je pleure a Paris
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes annees
Des hymnes d'esclave aux murenes
La romance du mal aime
Et des chansons pour les sirenes
L'amour est mort j'en suis tremblant
J'adore de belles idoles
Les souvenirs lui ressemblant
Comme la femme de Mausole
Je reste fidele et dolent
Je suis fidele comme un dogue
Au maitre le lierre au tronc
Et les Cosaques Zaporogues
Ivrognes pieux et larrons
Aux steppes et au decalogue
Portez comme un joug le Croissant
Qu'interrogent les astrologues
Je suis le Sultan tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur eblouissant
Devenez mes sujets fideles
Leur avait ecrit le Sultan
Ils rirent a cette nouvelle
Et repondirent a l'instant
A la lueur d'une chandelle
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzebuth es-tu la-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas a tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arraches a coup de pique
Ta mere fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulceres des croutes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes medicaments
Voie lactee {1}
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthere
Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amere
Qui a rebute nos destins
Ses regards laissaient une traine
D'etoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirenes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fees marraines
Mais en verite je l'attends
Avec mon coeur avec mon ame
Et sur le pont des Reviens-t'en
Si jamais reviens cette femme
Je lui dirai Je suis content
Mon coeur et ma tete se vident
Tout le ciel s'ecoule par eux
O mes tonneaux des Danaides
Comment faire pour etre heureux
Comme un petit enfant candide
Je ne veux jamais l'oublier
Ma colombe ma blanche rade
O marguerite exfoliee
Mon ile au loin ma Desirade
Ma rose mon giroflier
Les satyres et les pyraustes
Les egypans les feux follets
Et les destins damnes ou faustes
La corde au cou comme a Calais
Sur ma douleur quel holocauste
Douleur qui doubles les destins
La licorne et le capricorne
Mon ame et mon corps incertains
Te fuient o bucher divin qu'ornent
Des astres des fleurs du matin
Malheur dieu pale aux yeux d'ivoire
Tes pretres fous t'ont-ils pare
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleure
Malheur dieu qu'il ne faut pas croire
Et toi qui me suis en rampant
Dieu de mes dieux morts en automne
Tu mesures combien d'empans
J'ai droit que la terre me donne
O mon ombre o mon vieux serpent
Au soleil parce que tu l'aimes
Je t'ai menee souviens-t'en bien
Tenebreuse epouse que j'aime
Tu es a moi en n'etant rien
O mon ombre en deuil de moi-meme
L'hiver est mort tout enneige
On a brule les ruches blanches
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches
Le printemps clair l'Avril leger
Mort d'immortels argyraspides
La neige aux boucliers d'argent
Fuit les dendrophores livides
Du printemps cher aux pauvres gens
Qui resourient les yeux humides
Et moi j'ai le coeur aussi gros
Qu'un cul de dame damascene
O mon amour je t'aimais trop
Et maintenant j'ai trop de peine
Les sept epees hors du fourreau
Sept epees de melancolie
Sans morfil o claires douleurs
Sont dans mon coeur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur
Comment voulez-vous que j'oublie
Les sept epees
La premiere est toute d'argent
Et son nom tremblant c'est Paline
Sa lame un ciel d'hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommee Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s'en servent a leurs noces
Elle a tue trente Be-Rieux
Et fut douee par Carabosse
La troisieme bleu feminin
N'en est pas moins un chibriape
Appele Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L'Hermes Ernest devenu nain
La quatrieme Malourene
Est un fleuve vert et dore
C'est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adores
Et des chants de rameurs s'y trainent
La cinquieme Sainte-Fabeau
C'est la plus belle des quenouilles
C'est un cypres sur un tombeau
Ou les quatre vents s'agenouillent
Et chaque nuit c'est un flambeau
La Sixieme metal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous separe
Adieu voila votre chemin
Les coqs s'epuisaient en fanfares
Et la septieme s'extenue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue
Voie lactee {2}
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Les demons du hasard selon
Le chant du firmament nous menent
A sons perdus leurs violons
Font danser notre race humaine
Sur la descente a reculons
Destins destins impenetrables
Rois secoues par la folie
Et ces grelottantes etoiles
De fausses femmes dans vos lits
Aux deserts que l'histoire accable
Luitpold le vieux prince regent
Tuteur de deux royautes folles
Sanglote-t-il en y songeant
Quand vacillent les lucioles
Mouches dorees de la Saint-Jean
Pres d'un chateau sans chatelaine
La barque aux barcarols chantants
Sur un lac blanc et sous l'haleine
Des vents qui tremblent au printemps
Voguait cygne mourant sirene
Un jour le roi dans l'eau d'argent
Se noya puis la bouche ouverte
Il s'en revint en surnageant
Sur la rive dormir inerte
Face tournee au ciel changeant
Juin ton soleil ardente lyre
Brule mes doigts endoloris
Triste et melodieux delire
J'erre a travers mon beau Paris
Sans avoir le coeur d'y mourir
Les dimanches s'y eternisent
Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchent comme la tour de Pise
Soirs de Paris ivres du gin
Flambant de l'electricite
Les tramways feux verts sur l'echine
Musiquent au long des portees
De rails leur folie de machines
Les cafes gonfles de fumee
Crient tout l'amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumes
De leurs garcons vetus d'un pagne
Vers toi toi que j'ai tant aimee
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes annees
Des hymnes d'esclave aux murenes
La romance du mal aime
Et des chansons pour les sirenes
LES COLCHIQUES
Le pre est veneneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'ecole viennent avec fracas
Vetus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des meres
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupieres
Qui battent comme les fleurs battent au vent dement
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pre mal fleuri par l'automne
PALAIS
A Max Jacob
Vers le palais de Rosemonde au fond du Reve
Mes reveuses pensees pieds nus vont en soiree
Le palais don du roi comme un roi nu s'eleve
Des chairs fouettees des roses de la roseraie
On voit venir au fond du jardin mes pensees
Qui sourient du concert joue par les grenouilles
Elles ont envie des cypres grandes quenouilles
Et le soleil miroir des roses s'est brise
Le stigmate sanglant des mains contre les vitres
Quel archet mal blesse du couchant le troua
La resine qui rend amer le vin de Chypre
Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'eprouva
Sur les genoux pointus du monarque adultere
Sur le mai de son age et sur son trente et un
Madame Rosemonde roule avec mystere
Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns
Dame de mes pensees au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n'egale l'orient
Qui donc attendez-vous
De reveuses pensees en marche a l'Orient
Mes plus belles voisines
Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse
La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit
Pendez vos tetes aux pateres par les tresses
Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles
On entra dans la salle a manger les narines
Reniflaient une odeur de graisse et de graillon
On eut vingt potages dont trois couleurs d'urine
Et le roi prit deux oeufs poches dans du bouillon
Puis les marmitons apporterent les viandes
Des rotis de pensees mortes dans mon cerveau
Mes beaux reves mort-nes en tranches bien saignantes
Et mes souvenirs faisandes en godiveaux
Or ces pensees mortes depuis des millenaires
Avaient le fade gout des grands mammouths geles
Les os ou songe-creux venaient des ossuaires
En danse macabre aux plis de mon cervelet
Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles
Mais nom de Dieu!
Ventre affame n'a pas d'oreilles
Et les convives mastiquaient a qui mieux mieux
Ah! nom de Dieu! qu'ont donc crie ces entrecotes
Ces grands pates ces os a moelle et mirotons
Langues de feu ou sont-elles mes pentecotes
Pour mes pensees de tous pays de tous les temps
CHANTRE
Et l'unique cordeau des trompettes marines
CREPUSCULE
A Mademoiselle Marie Laurencin
Frolee par les ombres des morts
Sur l'herbe ou le jour s'extenue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'etang mire son corps
Un charlatan crepusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constelle
D'astres pales comme du lait
Sur les treteaux l'arlequin bleme
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Boheme
Quelques fees et les enchanteurs
Ayant decroche une etoile
Il la manie a bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismegiste
ANNIE
Sur la cote du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose
Une femme se promene souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordee de tilleuls
Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vetements n'ont pas de boutons
Il en manque deux a mon veston
La dame et moi suivons presque le meme rite
LA MAISON DES MORTS
A Maurice Raynal
S'etendant sur les cotes du cimetiere
La maison des morts l'encadrait comme un cloitre
A l'interieur de ses vitrines
Pareilles a celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimacaient pour l'eternite
Arrive a Munich depuis quinze ou vingt jours
J'etais entre pour la premiere fois et par hasard
Dans ce cimetiere presque desert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposee et vetue le mieux possible
En attendant la sepulture
Soudain
Rapide comme ma memoire
Les yeux ses rallumerent
De cellule vitree en cellule vitree
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terra plate a l'infini
Comme avant Galilee
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accosterent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientot moins funebres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se rejouissaient
De voir leurs corps trepasses entre eux et la lumiere
Ils riaient de voir leur ombre et l'observaient
Comme si veritablement
C'eut ete leur vie passee
Alors je les denombrai
Ils etaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient a vue d'oeil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialite
Tant de tendresse meme
Que les prenant en amitie
Tout a coup
Je les invitai a une promenade Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos peches sont absous
Nous quittames le cimetiere
Nous traversames la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts recents
Tous etaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s'eparpilla
Deux chevau-legers nous joignirent
On leur fit fete
Ils couperent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuerent aux enfants
Plus tard dans un bal champetre
Les couples mains sur les epaules
Danserent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublie la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps a autre une cloche
Annoncait qu'un autre tonneau
Allait etre mis en perce
Une morte assise sur un banc
Pres d'un buisson d'epine-vinette
Laissait un etudiant
Agenouille a ses pieds
Lui parler de fiancailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonte sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Repondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poetiques
De l'humanite
L'etudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiancailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous auront une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vetements et dans vos cheveux
Un beau sermon a l'eglise
De longs discours apres le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancee
Seront plus beaux plus beaux encore
Helas! la bague etait brisee
Que s'ils etaient d'argent ou d'or
D'emeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumiere de l'aurore
Que vos regards mon fiance
Auront meilleure odeur encore
Helas!
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Title: Alcools
Author: Guillaume Apollinaire
Release Date: March 25, 2005 [EBook #15462]
[This file last updated October 31, 2010]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALCOOLS ***
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Guillaume Apollinaire
ALCOOLS
(1898 - 1912)
Table des matieres
Zone
Le pont Mirabeau
La Chanson du Mal-Aime
Aubade chantee a Laetare l'an passe
Beaucoup de ces dieux. . .
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Voie lactee {1}
Les sept epees
Voie lactee {2}
Les colchiques
Palais
Chantre
Crepuscule
Annie
La maison des morts
Clotilde
Cortege
Marizibill
Le voyageur
Marie
La blanche neige
Poeme lu au mariage d'Andre Salmon
L'Adieu
Salome
La porte
Merlin et la vieille femme
Saltimbanques
Le larron
Le vent nocturne
Lul de Faltenin
La tzigane
L'ermite
Automne
L'Emigrant de Landor Road
Rosemonde
Le brasier
Je flambe dans le brasier
Descendant des hauteurs
Rhenanes
Nuit rhenane
Mai
La synagogue
Les cloches
La Loreley
Schinderhannes
Rhenane d'automne
Les sapins
Les femmes
Signe
Un soir
La dame
Les fiancailles
Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris
Je n'ai plus meme pitie de moi
J'ai eu le courage de regarder en arriere
Pardonnez-moi mon ignorance
J'observe le repos du dimanche
A la fin les mensonges ne me font plus peur
Au tournant d'une rue je vis des matelots
Templiers flamboyants je brule parmi vous
Clair de lune
1909
A la Sante
Automne malade
Hotels
Cors de chasse
Vendemiaire
ZONE
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergere o tour Eiffel le troupeau des ponts bele ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquite grecque et romaine
Ici meme les automobiles ont l'air d'etre anciennes
La religion seule est restee toute neuve la religion
Est restee simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique o Christianisme
L'Europeen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenetres observent la honte te retient
D'entrer dans une eglise et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent
tout haut
Voila la poesie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons a 25 centimes pleines d'aventures policieres
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublie le nom
Neuve et propre du soleil elle etait le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles steno-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirene y gemit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis a la facon des perroquets criaillent
J'aime la grace de cette rue industrielle
Situee a Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des
Ternes
Voila la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mere ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es tres pieux et avec le plus ancien de tes camarades Rene
Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Eglise
Il est neuf heures le gaz est baisse tout bleu vous sortez du
dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du college
Tandis qu'eternelle et adorable profondeur amethyste
Tourne a jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'eteint pas le vent
C'est le fils pale et vermeil de la douloureuse mere
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prieres
C'est la double potence de l'honneur et de l'eternite
C'est l'etoile a six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il detient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtieme pupille des siecles il sait y faire
Et change en oiseau ce siecle comme Jesus monte dans l'air
Les diables dans les abimes levent la tete pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judee
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aeroplane
Ils s'ecartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la
Sainte-Eucharistie
Ces pretres qui montent eternellement elevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
A tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc celebre par les conteurs et les poetes
Plane tenant dans les serres le crane d'Adam la premiere tete
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amerique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immacule
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocelle
Le phenix ce bucher qui soi-meme s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirenes laissant les perilleux detroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phenix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants pres de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus etre aime
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastere
Vous avez honte quand vous vous surprenez a dire une priere
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire petille
Les etincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musee
Et quelquefois tu vas le regarder de pres
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantees
C'etait et je voudrais ne pas m'en souvenir c'etait au declin de
la beaute
Entouree de flammes ferventes Notre-Dame m'a regarde a Chartres
Le sang de votre Sacre-Coeur m'a inonde a Montmartre
Je suis malade d'ouir les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possede te fait survivre dans l'insomnie et dans
l'angoisse
C'est toujours pres de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Mediterranee
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'annee
Avec tes amis tu te promenes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'ecrire ton conte en prose
La cetoine qui dort dans le coeur de la rose
Epouvante tu te vois dessine dans les agates de Saint-Vit
Tu etais triste a mourir le jour ou tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affole par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont a rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en ecoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tcheques
Te voici a Marseille au milieu des pasteques
Te voici a Coblence a l'hotel du Geant
Te voici a Rome assis sous un neflier du Japon
Te voici a Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et
qui est laide
Elle doit se marier avec un etudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passe trois jours et autant a Gouda
Tu es a Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en etat d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'age
Tu as souffert de l'amour a vingt et a trente ans
J'ai vecu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et a tous moments je voudrais
sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a epouvante
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres emigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur etoile comme les rois-mages
Ils esperent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays apres avoir fait fortune
Une famille transporte un edredon rouge comme vous transportez
votre coeur
Cet edredon et nos reves sont aussi irreels
Quelques-uns de ces emigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se deplacent rarement comme les pieces aux echecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un cafe a deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas mechantes elles ont des soucis cependant
Toutes meme la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercees
J'ai une pitie immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant a une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'eloigne ainsi qu'une belle Metive
C'est Ferdine la fausse ou Lea l'attentive
Et tu bois cet alcool brulant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi a pied
Dormir parmi tes fetiches d'Oceanie et de Guinee
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inferieurs des obscures esperances
Adieu Adieu
Soleil cou coupe
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours apres la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face a face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des eternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Esperance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passe
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
LA CHANSON DU MAL-AIME
A Paul Leautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour a la semblance
Du beau Phenix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume a Londres
Un voyou qui ressemblait a
Mon amour vint a ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garcon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hebreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimee
Je suis le souverain d'Egypte
Sa soeur-epouse son armee
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brulant
De tous les feux de ses facades
Plaies du brouillard sanguinolent
Ou se lamentaient les facades
Une femme lui ressemblant
C'etait son regard d'inhumaine
La cicatrice a son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment ou je reconnus
La faussete de l'amour meme
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Pres d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revint
L'epoux royal de Sacontale
Las de vaincre se rejouit
Quand il la retrouva plus pale
D'attente et d'amour yeux palis
Caressant sa gazelle male
J'ai pense a ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infideles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre a mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverne dans mon passe
Revienne le soleil de Paques
Pour chauffer un coeur plus glace
Que les quarante de Sebaste
Moins que ma vie martyrises
Mon beau navire o ma memoire
Avons-nous assez navigue
Dans une onde mauvaise a boire
Avons-nous assez divague
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'eloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'annee derniere en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Je me souviens d'une autre annee
C'etait l'aube d'un jour d'avril
J'ai chante ma joie bien-aimee
Chante l'amour a voix virile
Au moment d'amour de l'annee
Aubade chantee a Laetare l'an passe
C'est le printemps viens-t'en Paquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquetent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine a ta conquete
Mars et Venus sont revenus
Ils s'embrassent a bouches folles
Devant des sites ingenus
Ou sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la regente
De la floraison qui parait
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la foret
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux. . .
net
Title: Alcools
Author: Guillaume Apollinaire
Release Date: March 25, 2005 [EBook #15462]
[This file last updated October 31, 2010]
Language: French
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Guillaume Apollinaire
ALCOOLS
(1898 - 1912)
Table des matieres
Zone
Le pont Mirabeau
La Chanson du Mal-Aime
Aubade chantee a Laetare l'an passe
Beaucoup de ces dieux. . .
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Voie lactee {1}
Les sept epees
Voie lactee {2}
Les colchiques
Palais
Chantre
Crepuscule
Annie
La maison des morts
Clotilde
Cortege
Marizibill
Le voyageur
Marie
La blanche neige
Poeme lu au mariage d'Andre Salmon
L'Adieu
Salome
La porte
Merlin et la vieille femme
Saltimbanques
Le larron
Le vent nocturne
Lul de Faltenin
La tzigane
L'ermite
Automne
L'Emigrant de Landor Road
Rosemonde
Le brasier
Je flambe dans le brasier
Descendant des hauteurs
Rhenanes
Nuit rhenane
Mai
La synagogue
Les cloches
La Loreley
Schinderhannes
Rhenane d'automne
Les sapins
Les femmes
Signe
Un soir
La dame
Les fiancailles
Mes amis m'ont enfin avoue leur mepris
Je n'ai plus meme pitie de moi
J'ai eu le courage de regarder en arriere
Pardonnez-moi mon ignorance
J'observe le repos du dimanche
A la fin les mensonges ne me font plus peur
Au tournant d'une rue je vis des matelots
Templiers flamboyants je brule parmi vous
Clair de lune
1909
A la Sante
Automne malade
Hotels
Cors de chasse
Vendemiaire
ZONE
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergere o tour Eiffel le troupeau des ponts bele ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquite grecque et romaine
Ici meme les automobiles ont l'air d'etre anciennes
La religion seule est restee toute neuve la religion
Est restee simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique o Christianisme
L'Europeen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenetres observent la honte te retient
D'entrer dans une eglise et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent
tout haut
Voila la poesie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons a 25 centimes pleines d'aventures policieres
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublie le nom
Neuve et propre du soleil elle etait le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles steno-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirene y gemit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis a la facon des perroquets criaillent
J'aime la grace de cette rue industrielle
Situee a Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des
Ternes
Voila la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mere ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es tres pieux et avec le plus ancien de tes camarades Rene
Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Eglise
Il est neuf heures le gaz est baisse tout bleu vous sortez du
dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du college
Tandis qu'eternelle et adorable profondeur amethyste
Tourne a jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'eteint pas le vent
C'est le fils pale et vermeil de la douloureuse mere
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prieres
C'est la double potence de l'honneur et de l'eternite
C'est l'etoile a six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il detient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtieme pupille des siecles il sait y faire
Et change en oiseau ce siecle comme Jesus monte dans l'air
Les diables dans les abimes levent la tete pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judee
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aeroplane
Ils s'ecartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la
Sainte-Eucharistie
Ces pretres qui montent eternellement elevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
A tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc celebre par les conteurs et les poetes
Plane tenant dans les serres le crane d'Adam la premiere tete
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amerique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immacule
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocelle
Le phenix ce bucher qui soi-meme s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirenes laissant les perilleux detroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phenix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants pres de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus etre aime
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastere
Vous avez honte quand vous vous surprenez a dire une priere
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire petille
Les etincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musee
Et quelquefois tu vas le regarder de pres
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantees
C'etait et je voudrais ne pas m'en souvenir c'etait au declin de
la beaute
Entouree de flammes ferventes Notre-Dame m'a regarde a Chartres
Le sang de votre Sacre-Coeur m'a inonde a Montmartre
Je suis malade d'ouir les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possede te fait survivre dans l'insomnie et dans
l'angoisse
C'est toujours pres de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Mediterranee
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'annee
Avec tes amis tu te promenes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'ecrire ton conte en prose
La cetoine qui dort dans le coeur de la rose
Epouvante tu te vois dessine dans les agates de Saint-Vit
Tu etais triste a mourir le jour ou tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affole par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont a rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en ecoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tcheques
Te voici a Marseille au milieu des pasteques
Te voici a Coblence a l'hotel du Geant
Te voici a Rome assis sous un neflier du Japon
Te voici a Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et
qui est laide
Elle doit se marier avec un etudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passe trois jours et autant a Gouda
Tu es a Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en etat d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'age
Tu as souffert de l'amour a vingt et a trente ans
J'ai vecu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et a tous moments je voudrais
sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a epouvante
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres emigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur etoile comme les rois-mages
Ils esperent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays apres avoir fait fortune
Une famille transporte un edredon rouge comme vous transportez
votre coeur
Cet edredon et nos reves sont aussi irreels
Quelques-uns de ces emigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Ecouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se deplacent rarement comme les pieces aux echecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un cafe a deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas mechantes elles ont des soucis cependant
Toutes meme la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercees
J'ai une pitie immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant a une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'eloigne ainsi qu'une belle Metive
C'est Ferdine la fausse ou Lea l'attentive
Et tu bois cet alcool brulant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi a pied
Dormir parmi tes fetiches d'Oceanie et de Guinee
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inferieurs des obscures esperances
Adieu Adieu
Soleil cou coupe
LE PONT MIRABEAU
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours apres la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face a face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des eternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Esperance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passe
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
LA CHANSON DU MAL-AIME
A Paul Leautaud
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour a la semblance
Du beau Phenix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume a Londres
Un voyou qui ressemblait a
Mon amour vint a ma rencontre
Et le regard qu'il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garcon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hebreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques
Si tu ne fus pas bien aimee
Je suis le souverain d'Egypte
Sa soeur-epouse son armee
Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brulant
De tous les feux de ses facades
Plaies du brouillard sanguinolent
Ou se lamentaient les facades
Une femme lui ressemblant
C'etait son regard d'inhumaine
La cicatrice a son cou nu
Sortit saoule d'une taverne
Au moment ou je reconnus
La faussete de l'amour meme
Lorsqu'il fut de retour enfin
Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Pres d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revint
L'epoux royal de Sacontale
Las de vaincre se rejouit
Quand il la retrouva plus pale
D'attente et d'amour yeux palis
Caressant sa gazelle male
J'ai pense a ces rois heureux
Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infideles
Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde
Qu'un ciel d'oubli s'ouvre a mes voeux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverne dans mon passe
Revienne le soleil de Paques
Pour chauffer un coeur plus glace
Que les quarante de Sebaste
Moins que ma vie martyrises
Mon beau navire o ma memoire
Avons-nous assez navigue
Dans une onde mauvaise a boire
Avons-nous assez divague
De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'eloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'annee derniere en Allemagne
Et que je ne reverrai plus
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Je me souviens d'une autre annee
C'etait l'aube d'un jour d'avril
J'ai chante ma joie bien-aimee
Chante l'amour a voix virile
Au moment d'amour de l'annee
Aubade chantee a Laetare l'an passe
C'est le printemps viens-t'en Paquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquetent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine a ta conquete
Mars et Venus sont revenus
Ils s'embrassent a bouches folles
Devant des sites ingenus
Ou sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la regente
De la floraison qui parait
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la foret
Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux. . .
Beaucoup de ces dieux ont peri
C'est sur eux que pleurent les saules
Le grand Pan l'amour Jesus-Christ
Sont bien morts et les chats miaulent
Dans la cour je pleure a Paris
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes annees
Des hymnes d'esclave aux murenes
La romance du mal aime
Et des chansons pour les sirenes
L'amour est mort j'en suis tremblant
J'adore de belles idoles
Les souvenirs lui ressemblant
Comme la femme de Mausole
Je reste fidele et dolent
Je suis fidele comme un dogue
Au maitre le lierre au tronc
Et les Cosaques Zaporogues
Ivrognes pieux et larrons
Aux steppes et au decalogue
Portez comme un joug le Croissant
Qu'interrogent les astrologues
Je suis le Sultan tout-puissant
O mes Cosaques Zaporogues
Votre Seigneur eblouissant
Devenez mes sujets fideles
Leur avait ecrit le Sultan
Ils rirent a cette nouvelle
Et repondirent a l'instant
A la lueur d'une chandelle
Reponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzebuth es-tu la-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas a tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arraches a coup de pique
Ta mere fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulceres des croutes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes medicaments
Voie lactee {1}
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Regret des yeux de la putain
Et belle comme une panthere
Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amere
Qui a rebute nos destins
Ses regards laissaient une traine
D'etoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirenes
Et nos baisers mordus sanglants
Faisaient pleurer nos fees marraines
Mais en verite je l'attends
Avec mon coeur avec mon ame
Et sur le pont des Reviens-t'en
Si jamais reviens cette femme
Je lui dirai Je suis content
Mon coeur et ma tete se vident
Tout le ciel s'ecoule par eux
O mes tonneaux des Danaides
Comment faire pour etre heureux
Comme un petit enfant candide
Je ne veux jamais l'oublier
Ma colombe ma blanche rade
O marguerite exfoliee
Mon ile au loin ma Desirade
Ma rose mon giroflier
Les satyres et les pyraustes
Les egypans les feux follets
Et les destins damnes ou faustes
La corde au cou comme a Calais
Sur ma douleur quel holocauste
Douleur qui doubles les destins
La licorne et le capricorne
Mon ame et mon corps incertains
Te fuient o bucher divin qu'ornent
Des astres des fleurs du matin
Malheur dieu pale aux yeux d'ivoire
Tes pretres fous t'ont-ils pare
Tes victimes en robe noire
Ont-elles vainement pleure
Malheur dieu qu'il ne faut pas croire
Et toi qui me suis en rampant
Dieu de mes dieux morts en automne
Tu mesures combien d'empans
J'ai droit que la terre me donne
O mon ombre o mon vieux serpent
Au soleil parce que tu l'aimes
Je t'ai menee souviens-t'en bien
Tenebreuse epouse que j'aime
Tu es a moi en n'etant rien
O mon ombre en deuil de moi-meme
L'hiver est mort tout enneige
On a brule les ruches blanches
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches
Le printemps clair l'Avril leger
Mort d'immortels argyraspides
La neige aux boucliers d'argent
Fuit les dendrophores livides
Du printemps cher aux pauvres gens
Qui resourient les yeux humides
Et moi j'ai le coeur aussi gros
Qu'un cul de dame damascene
O mon amour je t'aimais trop
Et maintenant j'ai trop de peine
Les sept epees hors du fourreau
Sept epees de melancolie
Sans morfil o claires douleurs
Sont dans mon coeur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur
Comment voulez-vous que j'oublie
Les sept epees
La premiere est toute d'argent
Et son nom tremblant c'est Paline
Sa lame un ciel d'hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommee Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s'en servent a leurs noces
Elle a tue trente Be-Rieux
Et fut douee par Carabosse
La troisieme bleu feminin
N'en est pas moins un chibriape
Appele Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L'Hermes Ernest devenu nain
La quatrieme Malourene
Est un fleuve vert et dore
C'est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adores
Et des chants de rameurs s'y trainent
La cinquieme Sainte-Fabeau
C'est la plus belle des quenouilles
C'est un cypres sur un tombeau
Ou les quatre vents s'agenouillent
Et chaque nuit c'est un flambeau
La Sixieme metal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous separe
Adieu voila votre chemin
Les coqs s'epuisaient en fanfares
Et la septieme s'extenue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue
Voie lactee {2}
Voie lactee o soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nebuleuses
Les demons du hasard selon
Le chant du firmament nous menent
A sons perdus leurs violons
Font danser notre race humaine
Sur la descente a reculons
Destins destins impenetrables
Rois secoues par la folie
Et ces grelottantes etoiles
De fausses femmes dans vos lits
Aux deserts que l'histoire accable
Luitpold le vieux prince regent
Tuteur de deux royautes folles
Sanglote-t-il en y songeant
Quand vacillent les lucioles
Mouches dorees de la Saint-Jean
Pres d'un chateau sans chatelaine
La barque aux barcarols chantants
Sur un lac blanc et sous l'haleine
Des vents qui tremblent au printemps
Voguait cygne mourant sirene
Un jour le roi dans l'eau d'argent
Se noya puis la bouche ouverte
Il s'en revint en surnageant
Sur la rive dormir inerte
Face tournee au ciel changeant
Juin ton soleil ardente lyre
Brule mes doigts endoloris
Triste et melodieux delire
J'erre a travers mon beau Paris
Sans avoir le coeur d'y mourir
Les dimanches s'y eternisent
Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchent comme la tour de Pise
Soirs de Paris ivres du gin
Flambant de l'electricite
Les tramways feux verts sur l'echine
Musiquent au long des portees
De rails leur folie de machines
Les cafes gonfles de fumee
Crient tout l'amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumes
De leurs garcons vetus d'un pagne
Vers toi toi que j'ai tant aimee
Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes annees
Des hymnes d'esclave aux murenes
La romance du mal aime
Et des chansons pour les sirenes
LES COLCHIQUES
Le pre est veneneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'ecole viennent avec fracas
Vetus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des meres
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupieres
Qui battent comme les fleurs battent au vent dement
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pre mal fleuri par l'automne
PALAIS
A Max Jacob
Vers le palais de Rosemonde au fond du Reve
Mes reveuses pensees pieds nus vont en soiree
Le palais don du roi comme un roi nu s'eleve
Des chairs fouettees des roses de la roseraie
On voit venir au fond du jardin mes pensees
Qui sourient du concert joue par les grenouilles
Elles ont envie des cypres grandes quenouilles
Et le soleil miroir des roses s'est brise
Le stigmate sanglant des mains contre les vitres
Quel archet mal blesse du couchant le troua
La resine qui rend amer le vin de Chypre
Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'eprouva
Sur les genoux pointus du monarque adultere
Sur le mai de son age et sur son trente et un
Madame Rosemonde roule avec mystere
Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns
Dame de mes pensees au cul de perle fine
Dont ni perle ni cul n'egale l'orient
Qui donc attendez-vous
De reveuses pensees en marche a l'Orient
Mes plus belles voisines
Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse
La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit
Pendez vos tetes aux pateres par les tresses
Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles
On entra dans la salle a manger les narines
Reniflaient une odeur de graisse et de graillon
On eut vingt potages dont trois couleurs d'urine
Et le roi prit deux oeufs poches dans du bouillon
Puis les marmitons apporterent les viandes
Des rotis de pensees mortes dans mon cerveau
Mes beaux reves mort-nes en tranches bien saignantes
Et mes souvenirs faisandes en godiveaux
Or ces pensees mortes depuis des millenaires
Avaient le fade gout des grands mammouths geles
Les os ou songe-creux venaient des ossuaires
En danse macabre aux plis de mon cervelet
Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles
Mais nom de Dieu!
Ventre affame n'a pas d'oreilles
Et les convives mastiquaient a qui mieux mieux
Ah! nom de Dieu! qu'ont donc crie ces entrecotes
Ces grands pates ces os a moelle et mirotons
Langues de feu ou sont-elles mes pentecotes
Pour mes pensees de tous pays de tous les temps
CHANTRE
Et l'unique cordeau des trompettes marines
CREPUSCULE
A Mademoiselle Marie Laurencin
Frolee par les ombres des morts
Sur l'herbe ou le jour s'extenue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'etang mire son corps
Un charlatan crepusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constelle
D'astres pales comme du lait
Sur les treteaux l'arlequin bleme
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Boheme
Quelques fees et les enchanteurs
Ayant decroche une etoile
Il la manie a bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismegiste
ANNIE
Sur la cote du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose
Une femme se promene souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordee de tilleuls
Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vetements n'ont pas de boutons
Il en manque deux a mon veston
La dame et moi suivons presque le meme rite
LA MAISON DES MORTS
A Maurice Raynal
S'etendant sur les cotes du cimetiere
La maison des morts l'encadrait comme un cloitre
A l'interieur de ses vitrines
Pareilles a celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimacaient pour l'eternite
Arrive a Munich depuis quinze ou vingt jours
J'etais entre pour la premiere fois et par hasard
Dans ce cimetiere presque desert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposee et vetue le mieux possible
En attendant la sepulture
Soudain
Rapide comme ma memoire
Les yeux ses rallumerent
De cellule vitree en cellule vitree
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terra plate a l'infini
Comme avant Galilee
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accosterent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientot moins funebres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se rejouissaient
De voir leurs corps trepasses entre eux et la lumiere
Ils riaient de voir leur ombre et l'observaient
Comme si veritablement
C'eut ete leur vie passee
Alors je les denombrai
Ils etaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient a vue d'oeil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialite
Tant de tendresse meme
Que les prenant en amitie
Tout a coup
Je les invitai a une promenade Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos peches sont absous
Nous quittames le cimetiere
Nous traversames la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts recents
Tous etaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s'eparpilla
Deux chevau-legers nous joignirent
On leur fit fete
Ils couperent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuerent aux enfants
Plus tard dans un bal champetre
Les couples mains sur les epaules
Danserent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublie la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps a autre une cloche
Annoncait qu'un autre tonneau
Allait etre mis en perce
Une morte assise sur un banc
Pres d'un buisson d'epine-vinette
Laissait un etudiant
Agenouille a ses pieds
Lui parler de fiancailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonte sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Repondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poetiques
De l'humanite
L'etudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiancailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous auront une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vetements et dans vos cheveux
Un beau sermon a l'eglise
De longs discours apres le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancee
Seront plus beaux plus beaux encore
Helas! la bague etait brisee
Que s'ils etaient d'argent ou d'or
D'emeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumiere de l'aurore
Que vos regards mon fiance
Auront meilleure odeur encore
Helas!