Aux yeux du
souvenir
que le monde est petit!
Baudelaire - Fleurs Du Mal
LE REVE D'UN CURIEUX
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire: << Oh! l'homme singulier! >>
--J'allais mourir. C'etait dans mon ame amoureuse,
Desir mele d'horreur, un mal particulier;
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture etait apre et delicieuse;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.
J'etais comme l'enfant avide du spectacle,
Haissant le rideau comme on hait un obstacle. . .
Enfin la verite froide se revela:
J'etais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. --Eh quoi! n'est-ce donc que cela?
La toile etait levee et j'attendais encore.
LE VOYAGE
A MAXIME DU CAMP
I
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est egal a son vaste appetit.
Ah! que le monde est grand a la clarte des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de desirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Bercant notre infini sur le fini des mers:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infame;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyes dans les yeux d'une femme,
La Circe tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n'etre pas changes en betes, ils s'enivrent
D'espace et de lumiere et de cieux embrases;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent
Pour partir; coeurs legers, semblables aux ballons,
De leur fatalite jamais ils ne s'ecartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-la dont les desirs ont la forme des nues,
Et qui revent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptes, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom!
II
Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; meme dans nos sommeils
La Curiosite nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singuliere fortune ou le but se deplace,
Et, n'etant nulle part, peut etre n'importe ou!
Ou l'Homme, dont jamais l'esperance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre ame est un trois-mats cherchant son Icarie;
Une voix retentit sur le pont: << Ouvre l'oeil! >>
Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
<< Amour. . . gloire. . .